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Médecin de brousse en Kanaky

11 août 2012

La place de la médecine kanak en Nouvelle Calédonie

Article construit à partir de notions évoquées sur le site "VINCRE", ainsi qu'au sein d'un article du Dr Paul QAEZE, d'une interview de Patrice GODIN pour la médecine kanak, et de Wikipédia pour les plantes médicinales.

Généralités :

La médecine occidentale peut apprendre de la traditionnelle.

Elle a voulu longtemps couper le malade de son environnement personnel. Par souci de simplification. C'était l'un des rôles essentiels de l'hôpital. Elle a fait reculer les maladies physiques, mais a aggravé le mal-être. La médecine libérale a eu des velléités de corriger ce travers. Mais les cadences et l'afflux des patients ont anéanti ses efforts. Les psys affichent complets. Manquent de temps face à la variété des intellects et des situations personnelles. Le devin du village se débrouille mieux, avec des contextes plus uniformes et des procédures mieux codifiées.

Tout semble opposer les conceptions de la santé chez le mélanésien et l'occidental : pour le premier, c'est l'équilibre entre l'homme, ses proches, sa terre, ses ancêtres. Pour le second, c'est un examen clinique normal, une tension dans la norme, un bilan biologique sans astérisque, un forum internet qui confirme que l'on est toujours en vie...

Les kanaks ont vu bien des leurs rejoindre prématurément les esprits, malgré les guérisseurs. Ils ont acquis du pragmatisme. Ils classent les maladies en 4 catégories :

1) Les maladies "normales", de cause évidente :

Intoxication alimentaire (ciguatera), maladies sexuelles, coup de chaleur, plaies.... Traitement par les plantes, connus du plus grand nombre : ça reste dans le cadre familial. Equivalent de la mère occidentale qui désinfecte elle-même les bobos de sa progéniture.

2) Les maladies du Docteur Blanc :

Imprécises avant son arrivée. Classées par défaut dans les 2 dernières catégories. Pour le kanak, ce qui ne se voit pas est plus grave. Un mal de tête, une sciatique, est plus inquiétant qu'une plaie purulente. Le Blanc est assez doué pour ce qui ne se voit pas. Il a des médicaments pour tout. Oui, mais il ne connaît pas les maladies liées aux esprits. Alors il est prudent de voir le guérisseur et de prendre une potion traditionnelle, tout en allant voir le docteur.

3) Les malheurs liés à des fautes commises :

Ce sont aussi bien des maladies que des drames personnels : échec professionnel, affectif, disparition de personne, perte d'une récolte.

Les fautes résultent souvent d'inadvertance : oubli de rituel, de coutume, irrespect, transgression involontaire. Les esprits des ancêtres sanctionnent. De façon très imaginative. Parfois, aucune relation apparente entre le trouble manifesté et la faute. Une enquête est nécessaire. C'est plus simple quand il y a eu contact direct avec un objet interdit / sacré pour lequel les symptômes sont évidents : lésions cutanées à l'endroit du contact...

4) Les agressions par sorcellerie :

"Boucans" envoyés par un ennemi. Agression par esprit malveillant. Les grands chefs ont des gardes du corps spécialistes des questions mystiques.

Les catégories 3 et 4 sont soignées par les guérisseurs/voyants. Héritier d'une tradition transmise oralement et par quelques carnets de notes. Leurs méthodes sont secrètes ; ils connaissent la procédure par vision.

En fait, l'opposition entre médecine traditionnelle et allopathique n'est pas spécifique au monde kanak. Les occidentaux recourent autant à leurs guérisseurs et spécialistes de l'âme, bardés de titres plus modernes. Homéopathes, magnétiseurs, ostéopathes, patamédecines diverses, s'offrent à traiter au-delà du problème physique. Points communs : secret des techniques, croyances intégristes, influence sur le patient, importance du temps passé à la relation. Une différence, avouons notre cynisme : le guérisseur kanak travaille encore pour le statut, pas pour l'argent. Les contraintes matérielles des deux sociétés ne sont pas les mêmes. Mais le guérisseur kanak est le plus content de rendre service. Il ne lui viendrait pas à l'idée de refuser un patient. Ou de lui fermer sa porte la nuit.

Qui se fait le plus plaisir au bout du compte ? Le kanak récompensé à 80% de reconnaissance ? Ou le doc blanc vu comme un fonctionnaire surpayé de la CAFAT (Sécurité Sociale Calédonienne) ? Question de personnalité. Ceux qui vivent par les autres sont à la recherche de reconnaissance. Peut-être ne sont-ils pas assez guérisseurs ? Les patamédecines les en rapprochent.

En pratique, voici les écueils pour le médecin occidental en terre kanak :

-Si la maladie traîne malgré le traitement, le kanak est vite convaincu que le retard vient des esprits. -Aucune notion d'évaluation chez le kanak : Quand le traitement traditionnel est pris simultanément avec celui du docteur, la guérison est attribuée préférentiellement au premier. (C'est aussi vrai pour beaucoup de blancs adeptes des médecines alternatives.)

-Le docteur ne connaissant rien à l'histoire du clan et des ancêtres, il est incompétent dans certaines domaines. Il n'est pas "généraliste".

-Les facteurs de risque ne représentent rien pour le kanak. Les maladies insidieuses telles que diabète, hypertension, insuffisance rénale, ne sont pas considérées comme importantes. Souvent seule la prise en charge à 100% assure le suivi. Prendre sa pilule, faire sa prise de sang, permet de voir régulièrement le docteur et de lui parler d'autres problèmes gratuitement.

Solution : intégrer le guérisseur dans le réseau médical classique. Reconnaître l'approche différente, souvent complémentaire. En opposant les deux médecines, on prive souvent le patient des bénéfices de l'une.

Le blanc caustique dira que le guérisseur entretient des croyances fausses chez les kanaks et l'obligation de recourir à ses soins. Vrai. Vrai, de même, pour les patamédecines que les occidentaux continuent à consulter après un siècle de progrès scientifique rapide. Le rôle du médecin n'est pas d'extirper une partie de l'inconscient de son patient, tout au plus de l'aider à la reconnaître... s'il en est capable.

Au philosophe de faire évoluer la culture. Maître Profit est la philosophie conquérante de l'Occident. Il envahira tôt ou tard le monde kanak. Ne lui facilitons pas la tâche en détruisant les piliers de la culture traditionnelle, comme le monde des Esprits, juste pour prouver que nous sommes les plus savants.

La médecine traditionnelle :

Dr Paul QAEZE

La conception de la santé chez le mélanésien (*) repose sur des notions différentes de la compréhension occidentale. La Maladie correspond à la manifestation d'un déséquilibre d'un ordre établi. Elle va faire intervenir les fondamentaux de la société kanak, qui englobe l'homme dans sa dimension physique, sociale et mystique. D'un côté on a la parole, les plantes et les forces ancestrales et de l'autre, le stéthoscope, les molécules actives et les microbes. Alors que l'étiologie occidentale repose sur des relations entre un agent pathogène et une maladie ; dans la société kanak, la maladie résulte d'interactions entre l'homme, son environnement naturel et social, et le monde mystique représenté par les ancêtres.

Dans le milieu mélanésien ; on peut considérer qu'il existe trois sortes de maladies.

Les maladies dites naturelles...

...dues à un déséquilibre de la personne à elle-même (maladies du chaud /froid, du sec/humide, de l'excès et du manque). Le traitement se fera par la pharmacopée familiale.

Face à une plaie surinfectée, avec des lésions de grattage, le médecin occidental attribuera cela à un manque d'hygiène. Cette interprétation résulte de l'incompréhension entre le discours médical kanak et occidental. Dans l'échelle de gravité des ces maladies naturelles, celles qui ne se voient pas sont plus délétères que celles qui s'extériorisent. Donc une mère kanak s'inquiétera plus si son enfant se plaint d'un mal de tête ou de ventre que d'une plaie qui suinte.

Les maladies liées aux ancêtres

C'est quand une pathologie perdure, ne guérit pas assez vite. C'est  la  maladie des  fautes commises, c'est la transgression d'un tabou, d'une règle clanique.

Le traitement sera le recours à un guérisseur. Ainsi les forces ancestrales sont en particulier capables de punir les actes ou les attitudes répréhensibles commis par leurs descendants. La consultation par le guérisseur cherchera à déterminer l'origine exacte du mal. L'entreprise du diagnostique mobilise tous les proches, car la maladie peut s'abattre sur le groupe entier si la faute commise n'est pas réparée.

S'il y a eu transgression d'une règle sociale ou offense d'un parent, le malade fautif doit reconnaître son délit et entreprendre un geste symbolique de réparation. Ce n'est qu'à cette condition que le traitement appliqué sera efficace.

L'offense étant pardonnée, le risque de conflits au sein du clan est écarté. Les ancêtres libèrent alors leurs pouvoirs protecteurs. Ils rendront les médications efficaces ou désigneront les plantes médicinales appropriées, notamment par l'intermédiaire des rêves. Ces solutions thérapeutiques n'apparaissent pas seulement aux guérisseurs mais au patient lui-même qui peut trouver son traitement en rêve. Il arrive aussi qu'un proche du malade se réveille nanti du savoir thérapeutique.

Les maladies dites provoquées

En effet, ce sont des maladies engendrées par des maléfices (boucans) lancés par un sorcier ; ou par des conflits entre individus suscités parfois par la jalousie. Si l'on conçoit que les forces ancestrales sont en contact permanent avec le monde des vivants, on peut envisager qu'elles interviennent à la demande de leurs descendants.

Les symptômes de ces maladies dites magiques sont comme une maladie normale, à savoir fatigue, diarrhée, ou maux de tête, mais la survenue est aiguë et brutale. Le remède passe obligatoirement par un spécialiste de la voyance.

La médecine traditionnelle offre ainsi aux malades des solutions thérapeutiques qui englobent leur bien-être social et spirituel, valeurs que les mélanésiens ne retrouvent pas dans la médecine occidentale. Cependant, en évitant les ruptures brutales qui pourraient empêcher le passage d'un système à l'autre, en respectant l'essentiel des conceptions tout en y intégrant des éléments nouveaux, la tradition peut s'ouvrir à la modernité.

C'est le processus qui semble guider aujourd'hui le développement du pluralisme médical en Nouvelle-Calédonie.

(*) A lire : Chroniques du pays kanak. Gestes "Tome 2 : La Santé, p 129-191. Editions Planète Mémo)

 

Une interview de Patrice GODIN, anthropologue, par JY LANGLET :


JYL : Monsieur Godin, vous êtes anthropologue et vos travaux portent sur les rapports entre organisation sociale, cosmologie et rituels dans les communautés kanak de la région de Hienghène. A ce titre vous vous êtes intéressé à la médecine kanak traditionnelle. Pourriez-vous nous dire quelle est aujourd'hui la place de cette médecine ?

PG : "Elle est toujours extrêmement pratiquée, même si on constate dans les représentations comme dans les pratiques de nombreux changements depuis cent cinquante ans de présence française. L'un des traits caractéristiques de cette médecine est qu'elle est partie intégrante de l'organisation sociale kanak. Ce n'est pas une institution indépendante, séparée des autres composantes de la société, mais l'un des rouages essentiels de son fonctionnement. Pour faire bref, on peut dire que la société kanak est toute entière organisée autour de deux axes : ses chefferies et ses rituels. Ces rituels sont eux-mêmes de deux sortes :

-  des cérémonies d'échanges, qui jalonnent les grandes translations de   l'existence   (mort,   mariage, naissance),

et les rituels thérapeutiques qui constituent le noyau de ce qu'on appelle communément la médecine kanak "

JYL : Un exemple ?

PG : "La toute première histoire qu'on m'ait raconté sur ces pratiques. Un matin, un homme âgé se renverse le contenu d'une bouilloire d'eau bouillante sur les genoux. Le médecin qui le reçoit au dispensaire l'évacué sur Nouméa. Sur place, complication infectieuse. Au bout de quelques jours, et surtout après plusieurs visites de parents, il s'inquiète de toujours souffrir énormément. Un soir, profitant de la rotation du personnel infirmier, il s'échappe du CHT (Centre Hospitalier Territorial, à Nouméa) et prend le car du soir pour revenir à Hienghène. Le lendemain, avec un de ses fils, il consulte un devin. Le surlendemain, il obtient la réponse à ses inquiétudes. S'il ne guérit pas, c'est que lui ou quelqu'un de son entourage a commis une faute vis-à-vis de sa famille maternelle. Le diagnostic du devin est très exactement : "malédiction des utérins" (hwanyen le hwan-hiri en langue némij). Une discussion s'engage entre le vieux, son fils et le devin qui vise à éclaircir la raison de cette malédiction. Et au bout d'une heure, elle débouche sur une hypothèse qui est agréée par le devin. Il y a quelques mois, le vieux et son clan ont récupéré une terre ancestrale dans le cadre d'une revendication foncière. Mais lorsque ceux-ci l'ont remise en culture, ils ont oublié de faire un geste coutumier à l'oncle maternel du vieux. Les ancêtres du clan utérin ont envoyé la malédiction en retour. Le devin préconise d'aller demander pardon à l'oncle pour cet oubli. Le geste est accompli. Ensuite, l'oncle propose que le guérisseur et prêtre de son clan traite les brûlures. La conjugaison des deux traitements, kanak et européen, conduira à la guérison ".

JYL :Toutes les maladies rentrent-elles dans le même schéma ?

PG : "Non. Grosso modo, on peut dire qu'il existe quatre grandes classes de maladies pour la pensée kanak traditionnelle. D'abord, les maladies ordinaires, bénignes que les gens de Hienghène appellent simplement " maladies " (folie) et que les gens de l'aire linguistique paicî, plus au sud, appellent "vraies maladies ". Ce sont des troubles entraînés par des déséquilibres de l'hygiène quotidienne de vie. On range dans cette catégorie les troubles de l'alimentation, les accidents climatiques (refroidissement, exposition au soleil...), la ciguatera ou encore les maladies sexuellement transmissibles. Ces maladies se soignent dans le cadre familial, où l'on recourt à une pharmacopée principalement végétale, connue sinon de tous du moins du plus grand nombre. Il y a ensuite les maladies qui sont dites "maladies des Blancs" ou "maladies du docteur". Elles n'étaient pas connues avant l'arrivée des premiers colons européens et de ce fait elles n'ont pas de noms dans les langues locales. Les seules exceptions sont dans le centre et le nord de la Grande Terre le pian et la lèpre. Le premier a été assimilé à une maladie de peau, la seconde à une forme ancienne de mycose rongeante. Les maladies du docteur sont comme leur nom l'indique du seul ressort de la médecine européenne dont on attend qu'elles les guérissent dans des délais relativement brefs. Les deux autres catégories de maladies nous font passer dans un tout autre registre des représentations. A leur propos, il faudrait d'ailleurs plutôt parler de "malheurs" que de maladies, dans le sens où ces catégories englobent non seulement des pathologies, mais aussi des événements dramatiques frappant les personnes, les familles, voire la communauté dans son ensemble (disparition inexpliquée de personne, échec professionnel, accidents...). Parmi les malheurs, il y a en premier lieu ceux qui résultent de fautes commises. Et parmi ces fautes, on distingue souvent entre, d'une part les transgressions, l'oubli ou l'accomplissement défaillant de gestes rituels, les comportements irrespectueux, etc. qui appellent une sanction de la part des ancêtres, et d'autre part le contact involontaire avec des lieux ou des objets "interdits", "sacrés" parce que chargés de présence ancestrale. Leurs conséquences ne sont pas les mêmes. Dans le cas des secondes, il existe un lien évident entre symptômes et nature de la maladie. Le contact avec une présence ancestrale débouche sur des altérations ou des lésions de la peau qu'on explique par une sorte de possession, l'ancêtre a envahi le corps du malade. Si on ne soigne pas cette possession à temps, le malade est dit sombrer progressivement dans la folie et peut même mourir. Pour les malédictions, qui relèvent de fautes de comportement, il n'y a pas lien de cause à effet, ainsi que l'a bien montré Christine Salomon pour le Centre-Nord de la Grande Terre. Un même symptôme peut être référé à des raisons différentes et une même raison aboutir à des malheurs complètement différents. La sanction envoyée par les ancêtres est par définition polymorphe. La dernière catégorie de malheurs relève de l'agression, de ce que nous appelons en Occident la sorcellerie. Il en existe de multiples formes, officielles ou clandestines, individuelles ou collectives, intrafamiliales ou guerrières".

JYL : Officielles

PG : "Oui. Dans le cadre des chefferies, dans le nord de la Grande-Terre et aux îles Loyauté où les grands chefs ont souvent une garde chargée de leur protection et parmi elle des spécialistes de la guerre rituelle qui doivent punir tous ceux qui menacent la chefferie ou manquent de respect au chef. Maladies des fautes commises et agressions sorcières ne se soignent pas de la même façon que les maladies ordinaires, car des puissances invisibles sont impliquées, ancêtres ou esprits malveillants. Le diagnostic est fait par un spécialiste, devin ou voyant. Le devin est un praticien d'une technique divinatoire plus ou moins élaborée, mais qui suppose une initiation. Il est l'héritier d'une tradition qui se transmet à l'intérieur de son clan et travaille en relation avec les ancêtres par le biais de tout un matériel liturgique contenu dans un panier. Il est aussi généralement prêtre et guérisseur de son groupe. C'est toujours un homme. Au contraire, le voyant est une personne qui a un don, très souvent contracté à la suite d'une maladie. C'est aussi bien un homme qu'une femme. Il n'utilise pas de technique divinatoire. Il "voit" la maladie en palpant le corps du malade. Il peut aussi avoir la révélation de traitements. Pour devenir guérisseur, le voyant s'associe souvent au prêtre et guérisseur de son groupe qui l'autorise à utiliser les "médicaments" de son panier. En retour, le voyant peut nourrir le panier de "médicaments nouveaux" dont il a reçu la vision. Par ailleurs, il faut savoir qu'il y a toujours de nouvelles plantes et de nouveaux traitements qui apparaissent, notamment du fait que le rêve joue un rôle important pour enrichir la pharmacopée. C'est le signe tangible que le lien avec les ancêtres n'est pas coupé, que la communication entre eux et les hommes se poursuit ".

JYL : Pouvez-vous nous donner un exemple de traitement ?

PG : "Tous ces traitements comportent des aspects secrets et sont d'autant plus difficiles à étudier que le secret est une des conditions majeures de leur réussite. Dans le cas d'une attaque de sorcellerie, on essaiera d'abord de protéger le patient de son agresseur en créant autour de lui, de sa famille, des choses qui lui appartiennent (maison, champs, voiture...) une barrière rituelle dissuasive ; on le fera en lui fournissant des paquets de " feuilles " qu'il portera sur lui et en "lavant" les lieux où il vit, avec une "eau" où baignent des plantes médicinales. On soignera aussi la personne, des éventuelles atteintes corporelles qu'elle a subies. Dans le cas d'une maladie pour faute, on doit d'abord réparer la faute, obtenir le pardon du groupe lésé, des vivants comme des morts, ensuite seulement un traitement est possible. D'un clan à un autre, d'une région à l'autre, il existe d'importantes variations autour du schéma qui vient d'être tracé à gros traits. Chaque clan a son guérisseur qui utilise les sacrements du groupe. Beaucoup de thérapeutes traditionnels ouvrent aujourd'hui "leur panier" aux personnes de l'extérieur et il y en a qui ont acquis une réputation qui va bien au-delà de leur chefferie d'origine. En principe, le guérisseur ne se fait pas payer. On fait un geste pour lui demander son aide et celle de ses ancêtres, puis on peut le remercier. C'est pour lui un engagement très fort et il tomberait lui-même malade s'il refusait d'assumer ce rôle".

JYL : Et comment se transmet son savoir ?

Médecine traditionnelle

 

PG : "À Hienghène, c'est le nom reçu à la naissance qui détermine la fonction exercée dans la société. Mais parmi tous les enfants porteurs d'un nom, le guérisseur choisit généralement celui qui présente les meilleures aptitudes. Il se fie à son intuition et fait des tests pour savoir qui peut le mieux assurer sa succession. L'observation lui permet également de voir qui est le plus inspiré par les ancêtres, et donc le plus apte à hériter du panier".

JYL :  Revenons au traitement. Il existe des constantes !

PG : "Deux aspects du traitement des malheurs doivent être notés. En premier lieu, le "médicament" (terme employé en français local) préparé par le prêtre et guérisseur est beaucoup plus qu'une substance doté de propriétés thérapeutiques. Il est composé d'une association de plantes, sa préparation comme son administration sont accompagnés de gestes rituels, de prières, d'interdits qui en font un véritable sacrement. Et de fait, il s'agit d'une des formes de l'ancêtre, d'une transformation de son corps. On peut parler ici de transsubstantiation. Ensuite, l'ensemble des rituels thérapeutiques ne se comprend bien que rapporté à toute une cosmologie dans laquelle on retrouve les quatre éléments communs à beaucoup de pensées traditionnelles de par le monde : l'eau, le feu, la terre et le souffle. La conception kanak de la maladie et du malheur ne se comprend elle-même qu'en relation avec cette cosmologie. Dans la conception de la personne, il existe des composantes - le sang et le souffle - qui sont aussi des composantes de l'univers et qui sont menacées par la maladie et le malheur. Le traitement vise à redonner de la vie à ces composantes par le truchement d'éléments pris dans la nature. Alors que la maladie et le malheur sont dits "assécher" la personne, que les sorcelleries de guerre sont assimilées à des feux", les "médicaments" dans leur ensemble sont appelés "eaux" et renouvellent les fluides vitaux du patient".

JYL : Comment s'articulent concrètement les deux médecines kanak et occidentale sur le terrain ? Y a-t-il un lien possible entre médecine traditionnelle et médecine moderne ?

PG : "Le principal problème que rencontrent les médecins européens est que si le patient pense que son mal relève de ce qu'on a appelé le malheur (agression sorcière, conséquence d'une faute), il aura souvent tendance à se détourner de la médecine occidentale et n'y reviendra qu'en dernière extrémité - souvent trop tard pour le médecin. Il faut donc trouver un moyen de développer un véritable pluralisme médical. Celui-ci existe déjà pour les maladies ordinaires, les gens combinant souvent recours à la pharmacopée traditionnelle et consultation au dispensaire. Pour les maladies graves, la complémentarité entre les deux pratiques reste à inventer. J'ai le sentiment que les deux médecines n'abordent pas la souffrance humaine sous le même angle et qu'il y a beaucoup moins d'incompatibilités qu'on l'imagine des deux côtés. Ce n'est pas facile de réduire la méfiance réciproque. La conception occidentale est fondamentalement biologique, organiciste ou mécanique, parfois psychologique. Au contraire, dans le monde kanak, la maladie est perçue comme le résultat d'un déséquilibre ou d'une rupture dans le tissu des relations, interpersonnelles pour les maladies graves, entre les hommes et leur milieu pour les maladies ordinaires. Par ailleurs, les morts, les esprits sont dans la culture kanak des membres à part entière de la société. Ils sanctionnent les fautes, mais guérissent les malheurs et apportent leur soutien aux hommes dans leur vie. On trouve dans tous ces aspects bien des analogies avec certaines psychothérapies contemporaines, je pense notamment aux thérapies familiales ou à la prise en compte de l'impensé généalogique dans certaines psychanalyses. Pour une meilleure articulation des pratiques, il faudrait que se développe la reconnaissance des savoirs traditionnels, comme c'est le cas dans d'autres pays du Pacifique. Les coutumiers sont à l'évidence favorables à ce qu'un statut soit donné aux guérisseurs. Il est temps de commencer à y réfléchir. Cela permettrait une meilleure confrontation des deux médecines et la création de passerelles.

Les plantes médicinales :

La Nouvelle-Calédonie fait partie des 4 premiers territoires du monde en terme de biodiversité. En présence de roches particulières ; les péridotites ; qui ont recouvert une partie de l’île il y a 37 millions d’années, la flore a évolué en état d’isolement, formant un patrimoine riche et unique. La flore calédonienne compte 3.926 espèces décrites dont 75% endémiques. En Nouvelle-Calédonie, les plantes sont utilisées dans la médecine traditionnelle et font l’objet de recherches scientifiques qui pourraient servir à des fins médicales pour les grands laboratoires français notamment contre des maladies redoutées.

Les plantes qui guérissent les maladies traditionnelles

*L’aloès : plante grasse dont les feuilles sont charnues et cassantes. Elles contiennent dans leur épaisseur une sorte de tissu cellulaire spongieux qui stocke l’eau. Par alchimie, cette eau se transforme en un gel amer et translucide très recherché pour ses propriétés médicinales.

En Nouvelle-Calédonie, l’aloès est surnommé "plante à brûlures" mais c’est aussi un cicatrisant, il soulage les piqûres d’insectes, l’eczéma… C’est la plante des premiers soins et ses vertus sont connues depuis toujours par des peuples très différents.

Des chercheurs l’étudient pour des essais cliniques sur des malades atteints du Sida et du cancer du poumon. Il semblerait que ces expériences soient positives.

*La fougère arborescente (Cyathea intermedia) :

C’est une gigantesque fougère endémique qui pousse dans les forêts humides. Elle peut dépasser les 35 mètres de hauteur. Dans certaines régions, elle représente "le commencement du pays des hommes" pour les Kanak.

En médecine traditionnelle, ses bourgeons sont consommés comme contraceptifs.

*Le Méamoru (Plectranthus Parviflorus) :

Plante à petites feuilles qui pousse au ras du sol et fait de minuscules fleurs bleues. Pour les Kanak, c’est le symbole de la vie.

Dans la région du centre de la Grande Terre, les femmes soignent les maladies des yeux et purgent les bébés après décoction de ses feuilles et de sa tige.

*Le pommier kanak (Syzygium Malaccense) :

Arbre à feuilles luisantes, pointues et très serrées. Une décoction de son écorce soigne les intoxications alimentaires. Le bouillon de ses feuilles calme les diarrhées et les feuilles chauffées et posées sur les furoncles les font disparaître.

*Le bancoulier (Aleurites moluccana) :

Ils parsèment en septembre les pentes néo-calédoniennes.

Les noix ont des propriétés purgatives et l’écorce râpée appliquée sur la plaie est utilisée pour soigner les blessures dues au corail.

*Le faux tabac (Argusia argentea) :

C’est la plante la plus utilisée en Nouvelle-Calédonie dans les remèdes traditionnels contre "la gratte" (ciguatera) qui s’attrape en mangeant certains poissons du lagon pendant l’été. Il n’élimine pas les toxines mais aide à mieux supporter la crise.

*Le niaouli (Melaleuca quinquenervia) :

La savane à niaoulis est le type même du paysage calédonien de la côte ouest.

Une décoction de l’écorce soulagera les rhumatismes et les courbatures. L’huile essentielle de niaouli est utilisée pour purifier l’air et en cas de rhume.

*Le bourao (Hibiscus tiliaceus) :

Petit arbre dont il existe 3 variétés : le bourao rouge, le bourao blanc des bords de mer et le bourao blanc de l’intérieur des terres.

La sève de ses feuilles est utilisée comme cicatrisant des plaies. Les feuilles sont souvent bouillies en décoction pour soigner le foie ou se relaxer.

*Le cocotier (Cocos nucifera) :

Arbre très répandu dans les zones tropicales du monde entier, il peut mesurer jusqu’à 25 mètres. Dans la région de Hyenghène, le bouillon de ses racines est un médicament contre la diarrhée. Posé sur les abcès, il aide à les faire évoluer.

Contre les coups de soleil, il faut retirer la pulpe d’un coco vert et faire des cataplasmes sur les brûlures.

Les racines frottées sur les dents rendent ces dernières blanches et saines.

*Le corossol (Annoma Muricata) :

Arbre tropical qui produit de gros fruits à l’enveloppe hérissée de pointes.

Lorsqu’un enfant à la varicelle, il faut faire bouillir ses feuilles et le baigner dans cette décoction de couleur rouge. Les pustules sécheront sans cicatrice. C’est aussi un très bon remède pour détendre les bébés nerveux.

L’inhalation de la vapeur qui se dégage des feuilles chauffées au feu apaise les crispations stomacales dues aux contrariétés.

*La canne à sucre (Saccharum officinarum) :

La fibre mâchée est utilisée comme émollient. En faire des compresses.

*Le citronnier (Citrus limon Burmann) :

C’est un petit arbuste. Les fleurs et les feuilles en infusion calment les spasmes d’estomac et les nausées

*Le goyavier (Psidium guajava L) :

Arbre répandu en Nouvelle-Calédonie qui atteint 2 à 3 mètres. Le tronc est mince et rameux.

Faire bouillir les feuilles et tamponner les brûlures, les ampoules et autres irritations cutanées.

En cas de piqûres d’insectes, mâcher les feuilles et appliquer la pulpe recracher sur la zone douloureuse.

*Le Cycas (cycas circinalis) :

Il ressemble à un palmier. Le tronc est généralement unique, cylindrique et écailleux.

En cas de piqûres par un poisson venimeux de type rascasse, il faut faire brûler une palme de cycas et poser le pied au dessus des vapeurs.

*L’hibiscus (Hibiscus Rosa sinensi L) :

C’est un arbuste ornemental des pays tropicaux. Il est très souvent taillé en haie. Une décoction de ses fleurs soigne la toux et soulage les jambes lourdes.

*Le santal (Santalum austrocaledonicum) :

Arbre parasite qui pousse particulièrement sur la partie sud de la Grande Terre, à l’Ile des Pins et dans les Iles Loyauté. Il a un tronc de petite taille, court et droit avec une écorce rugueuse, grise et fendillée. Son feuillage est arrondi, touffu, d’un vert clair et brillant.

Le jus de ses feuilles écrasées sera appliqué sur les hématomes pour les soulager.

*Le noni (Morinda citrifolia) :

Le fruit du noni a une apparence bosselée allant du vert au gris. Les mélanésiens et les polynésiens utilisent depuis des milliers d’années chaque partie de la plante pour se soigner. En Nouvelle-Calédonie, le fruit pousse à l’état sauvage sur toute la côte et aux Loyauté.

Il faut noter que certains usages de la médecine traditionnelle peuvent se révéler nocifs. Il convient donc d’être prudent dans l’utilisation et la préparation de ces recettes à base de plantes.

Les plantes qui guérissent les maladies liées à la transgression des interdits

*La canne à sucre (Saccharum officinarum) :


Elle est cultivée dans les champs. Dans certaines régions, elle est utilisée pour soigner les malaises provoqués par le totem qui n’a pas été respecté.

*Le coleus (Solenostemon scutellarioides) :

C’est une herbe larges aux couleurs variées qui est très commune dans les zones habitées. C’est le symbole de vie. Il protège les habitants de la mort. Si l’on tombe malade parce que le rite lié aux cultures n’a pas été accomplis correctement, il faut se badigeonner le corps avec sa sève.

*Le kaori (Agathis) :

Il symbolise la hiérarchie. Son écorce et ses feuilles entrent dans la confection de décoctions qui soignent les maladies que provoque la violation des interdits.

*Le faux manguier (Cerbera Manghas) :

Petit arbre aux feuilles luisantes ne dépasse pas 15 mètres et pousse sur presque toutes les rives du Pacifique et de l’Océan Indien. Le noyau de son fruit est très toxique.

Pour guérir les maladies liées par la transgression des interdits, il faut boire l’eau qui a été filtrée par des feuilles du faux manguier.

*L’oranger sauvage (Citrus macroptera) :

Arbre grand comme un oranger dont les fruits qui ressemblent à des oranges ne sont pas comestibles.

De Touho aux îles Bélep, on raconte qu’au pays des morts, le fruit de cet arbre permet, au cours d’un jeu, de distinguer l’esprit d’un vivant à celui d’un défunt.

Boire une décoction de son écorce guérirait des maux contractés lors d’un voyage au pays des morts.

Les plantes qui protègent

*Le bancoulier (Aleurites Moluccana) :

Cet arbre peut mesurer 30 à 40 mètres. Il pousse en colonies. Les guerriers et les danseurs s’enduisent le corps du noir de sa noix afin de s’assurer la protection des ancêtres. Il est considéré comme un arbre qui abrite les esprits.

*Le niaouli (Melaleuca quinquenervia) :

Lors des naissances, il était d’usage d’envelopper les nourrissons dans son écorce afin de les protéger et leur donner de la force.

*L’arbre à tapa (Broussonetia papyrifera) :

Arbuste aux feuilles en forme de coeur, il sert à fabriquer les bandes de tissus appelées tapa. Il est offert au guérisseur pour lui permettre de communiquer avec les esprits au moment de ses invocations.

*Le croton (Codiaeum variegatum) :

C’est un arbre décoratif aux feuilles panachées de vert, jaune et rouge. Ses feuilles portées sur l’oreille ou en bouquet serré sur le bras sont considérées comme des protections contre les agressions magiques. Elles assurent la présence bénéfique des ancêtres.

Les plantes et la recherche scientifique

A Nouméa, l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) travaille sur un programme qui a pour but d'isoler de la biodiversité de Nouvelle-Calédonie, des molécules agissant contre les grandes maladies des pays industrialisés (cancer, sida, affections bactériennes) mais aussi contre des pathologies plus tropicales, maladies à vecteurs transmises par des moustiques comme la dengue ou le paludisme.

Le Laboratoire des Plantes Médicinales du CNRS (annexe de l’Institut de Chimie des Substances Naturelles (ICSN)) a pour objectif la recherche de substances naturelles bioactives dans la flore de la Nouvelle-Calédonie et des archipels adjacents. Environ 250 plantes sont collectées par an. A Nouméa, des tests de cytotoxité sont réalisés et une chimiothèque est constituées par plus de 800 extraits organiques réalisés par an (feuilles, écorce, fruits, fleurs…). Elle est ensuite envoyée en Métropole afin que des essais biologiques soient réalisés en collaboration avec des firmes industrielles (L’Oréal) et pharmaceutiques dans le but de trouver des antiparasites, des anti-HIV, des anti tumoraux.

L'ethnopharmacologie est une approche de choix pour présélectionner des espèces connues des savoirs locaux ou réputées actives en médecine traditionnelle en Nouvelle-Calédonie. Certaines plantes étant depuis longtemps utilisées dans des buts bien particuliers (maladies de peau, infections, fièvres prolongées, etc.), de manière curative ou préventive (alimentation du patient), la connaissance de la pharmacopée est utile pour présélectionner ces espèces avant étude en laboratoire. Par exemple, en ce qui concerne la ciguatera ou "gratte" - intoxication par des poissons tropicaux, les remèdes traditionnels utilisés dans le Pacifique sud ont été inventoriés et leur efficacité étudiée. Des échantillons de plantes ont été envoyés dans des universités et facultés en Métropole pour études. Cette démarche devrait permettre de découvrir des substances actives.

Dans la commune du Mont Dore (proche de Nouméa), le laboratoire Cosmécal cultive des plantes médicinales telles que l’hibiscus, le niaouli, l’Aloé Véra, le goyavier, le noni et le niaouli. Ces matières premières entrent ensuite dans la fabrication des produits Cosmécal qui a développé sa propre gamme fabriquée exclusivement avec des plantes de Nouvelle-Calédonie (gélules, jus de noni, lotions et gels à base d’aloès, sirop, bonbons et baume au niaouli…). Ce laboratoire fait partie d’une Groupement d’Intérêt Scientifiques (GIS) en collaboration avec l’Université Française du Pacifique, l’IAC, l’IRD, le CNRS, la Province Sud et l’Institut Pasteur. Ce groupement a pour but la concertation dans l’organisation des recherches sur les substances naturelles, les synergies dans la réalisation des programmes scientifiques et la formation des étudiants.

 

 

 

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3 juin 2012

Aperçu de mon travail. Quelques notions sur la santé en Nouvelle Calédonie

Ma journée de travail :

Identique à Kouaoua comme à Canala. Les "hostilités" commencent à sept heures et demie. La file de patients est déjà conséquente devant le dispensaire et dans la salle d'attente, particulièrement le lundi. Ils sont accueillis par les infirmiers (deux à Kouaoua, trois à Canala) qui assurent un premier interrogatoire, et notent sur le dossier les signes vitaux (Poids, taille, température, pouls, pression artérielle) ainsi que le motif de la consultation. Tous les actes simples seront assurés par ces infirmiers, tels les vaccinations, les pansements et injections, les prélèvements d'examens biologiques, un tracé électro cardiographique, une radiographie simple (squelette, poumons). Les patients dont l'état mérite une consultation médicale sont vus rapidement par le médecin de service (Un à Kouaoua, deux à Canala). Les médicaments éventuellement prescrits sont fournis par la pharmacie du dispensaire, en particulier à Kouaoua où la première officine est à une heure de route par la transversale. Les familles iront les chercher ultérieurement à Canala, ou à La Foa (Sur la route provinciale) et les rapporteront au dispensaire pour reconstituer les stocks (le rendu n'est pas contrôlé, mais la gestion des quantités montre que tout ce qui est avancé ou presque est rendu).

Si un rendez-vous de spécialité doit être pris, c'est la secrétaire qui s'en charge, comme du mode de transport et de la réservation en conséquence.

La consultation du matin finit à onze heures trente, puis ensuite celle d'après-midi a lieu de treize heures trente à seize heures trente.

Une fois par semaine, le médecin part avec le véhicule tous terrains pour effectuer des visites de personnes âgées dans le tribus, accompagné d'une infirmière et d'une auxiliaire de vie. C'est là un bien délicieux moment, d'abord parce que les paysages traversés sont beaux à couper le souffle, les tribus étant cachées au beau mitant de la forêt, près d'une rivière ou d'un torrent. Il faut passer des gués parfois rapides à la saison des pluies, emprunter des chemins à ornières, contourner des éboulis de roches, et cela au cœur d'une forêt tropicale inouïe que j'ai eu déjà plusieurs fois l'occasion d'évoquer. Les familles conscientes de l'effort fourni n'ont de cesse de manifester leur satisfaction, en couvrant les acteurs de santé de présents : fleurs coupées, fruits, morceaux de gibier (le cerf se trouve en surabondance dans la forêt calédonienne), végétaux à replanter (rhododendrons, crotons, pieds de vanille, jeunes cocos). Parfois, le chef de tribu est présent pour saluer les visiteurs. Souvent, une auxiliaire de santé a regroupé dans une case tribale commune les patients à voir ce jour là pour faciliter le travail de l'équipe soignante. Là encore, les remèdes sont avancés temporairement.

Outre les consultations et les visites à domicile, le dispensaire assure les petites et grandes urgences vingt quatre heures sur vingt quatre et sept jours sur sept. Le problème là encore est dégrossi par l'infirmière de garde, qui gère la totalité de la prise en charge pour les problèmes simples, ou qui réfère au médecin d'astreinte pour les urgences plus lourdes. C'est pour ce faire que les maisons des médecins sont dans un périmètre proche du centre de santé. Le dispensaire est équipé en conséquence, disposant d'un matériel que bien des services d'urgences métropolitains pourraient envier : on peut intuber, ventiler au masque ou à la machine, désencombrer, immobiliser en coquille, défibriller. En outre, nous disposons d'une ambulance totalement équipée avec son chauffeur à portée d'appel téléphonique, d'un héliport en cas de besoin d'un hélicoptère SAMU ou de la gendarmerie, tout cela faisant du dispensaire un avant poste pour les problèmes urgents (accidents de voie publique, maladies cardio-vasculaires, urgences chirurgicales, etc.) De plus, nous possédons sur chaque dispensaire d'une salle d'accouchements avec couveuse, échographe, et une sage femme est présente ou à portée d'appel quasiment à demeure. En son absence, ce qui est rare, c'est donc nous, médecins, qui devons mettre la main à la pâte...

Bien entendu, nous prenons en charge tout ce qui peut être gardé au centre : plaies simples ou complexes, fractures simples, etc. Pour cela, le matériel dont nous disposons est abondant, et un appareil de radiographies performant est à notre disposition à des fins diagnostiques.

Le dispensaire héberge également un dentiste qui lui possède un siège moderne et performant.

Sont présents à demeure ou à temps partiel eu plus de la sage femme et du dentiste un assistant social, un otorhinolaryngologiste, un psychiatre, une pharmacienne, un kinésithérapeute, une diététicienne, un gynécologue. Les autres spécialités sont pratiquées à La Foa, sur la route provinciale, et bien sûr à Nouméa, où les hôpitaux et cliniques les assurent à peu près toutes. Seule la chirurgie lourde n'est pas prise en charge en Nouvelle Calédonie, comme les interventions sous circulation extra corporelle ou les greffes cardiaques (qui sont assurées dans l'Australie voisine, en l'occurrence à Sydney, où pour mémoire fut réussie la première transplantation cardiaque par le professeur Chris Barnard en 1954).

Afin de montrer l'excellence de l'équipement médical, voici quelques vues des deux établissements où j'exerce.

 

 Dispensaire de Canala 1

Dispensaire de Canala

 Dispensaire de Canala 2

Dispensaire de Canala

 Dispensaire de Canala 3

Dispensaire de Canala

Salle d'urgences et de réa à Canala 

Une salle d'urgences et de réanimation au dispensaire

de Canala

 Une salle d'urgences au dispensaire de Canala

Autre salle d'urgences

au dispensaire de Canala

Mon cabinet à Canala 

Mon cabinet à Canala

Mon cabinet à Kouaoua

Mon cabinet à Kouaoua

Dispensaire de Kouaoua 

Le dispensaire de Kouaoua

Salle d'urgences et réanimation à Kouaoua 

La salle de réanimation du dispensaire de Kouaoua

 

La nuit ainsi que les dimanches et jours fériés, l'accueil des patients se fait sur un mode identique ; l'infirmier de garde accueille les patients, assure un bilan préalable, et joindra le médecin de garde si nécessaire qui se déplacera alors. A noter la compétence des infirmières et infirmiers, qui sont capables d'effectuer des sutures, de mettre en route une réanimation, de pratiquer justement le bilan d'un coma, etc.

Si l'urgence justifie une évacuation sanitaire (dite "EVASAN"), elle se fera après accord avec le SAMU de Nouméa par l'intermédiaire de notre ambulance et de son chauffeur de garde (deux heures trente de route à peu près pour arriver à l'hôpital assurant la prise en charge des gros cas, soit l'hôpital Gaston Bourret), ou bien par le biais de l'hélicoptère du SAMU qui arrive de Nouméa en vingt minutes approximativement. Pour ce faire, les villages de Canala et de Kouaoua disposent d'un héliport proche dans les deux cas du dispensaire.

 

Le petit manuel du médecin de brousse à l’usage des fraîchement affectés en dispensaire

Article construit à partir du "petit manuel du médecin de brousse", travail de V.I.N.C.R.E à Nouméa.

*Ambiance :

Le médecin de dispensaire est un père mais être reconnu comme un père ne se gagne pas en quelques jours.

Il n'est ja jugé sur sa compétence technique, mais plutôt sur ses capacités d'empathie.

Le mélanésien est doté d’un fatalisme élevé envers la maladie : ainsi un décès accidentel ne génère pas de rancune. En effet, la vie terrestre est un épisode éphémère de la vie de l’esprit.

Un handicap important du médecin de brousse est le turn-over important du personnel médical, qui fait hésiter patients et paramédicaux à se voir confier ce rôle de père. Ainsi, il faut longtemps se satisfaire d’être l’oncle qui vient temporairement prodiguer ses conseils (encore que l’oncle mélanésien ait un rôle bien plus important qu’en occident).

Les collègues paramédicaux sont importants à convaincre. Ce sont eux en effet qui facilitent la transmission de la confiance. Ils jugeront davantage notre compétence technique que les patients ; nous autres médecins doivent utiliser la leur quand il s’agit de particularités ethniques.

Finalement personne ne s’attend à ce que le médecin reste ; inutile donc de faire de grandes promesses.

Mais, et c’est là où nous surprendrons, rien n’empêche de revisiter ; pourquoi extirper de son cœur ces racines qui s’y sont installées. Devenons l’oncle d’Amérique…

*Les deux médecines

- La médecine occidentale peut-elle apprendre de la traditionnelle ? Elle a voulu longtemps couper le malade de son environnement intime, par souci d’uniformisation des symptômes. C’était l’un des rôles essentiels de l’hôpital. Elle a fait reculer les maladies physiques, mais a aggravé le mal-être.

La médecine libérale a eu des velléités de corriger ce travers. Mais les cadences et l’afflux des patients ont anéanti ses efforts.

Les psys affichent complets, manquent de temps face à la variété des intellects… et la lenteur de certains, parfois les transforme en dealers…

Bien pratiques les recommandations… même si leur indépendance est suspecte. Le devin du village se débrouille mieux, avec des contextes plus uniformes et des procédures mieux codifiées.

Tout semble opposer les conceptions de la santé chez le mélanésien et l’occidental :

Pour le premier, c’est l’équilibre entre l’homme,  ses proches,  sa terre,  ses ancêtres.

Pour le second, c’est un examen clinique normal, une tension dans la bonne fourchette, un bilan biologique sans astérisque, un forum internet qui confirme que l’on est toujours en vie…

- Les kanaks ont vu bien des leurs rejoindre prématurément les esprits, malgré les guérisseurs. Ils ont acquis du pragmatisme. Ils considèrent quatre catégories de maladies :

1) Les maladies " normales ", de cause évidente : intoxication alimentaire (ciguatera), maladies sexuelles, coup de chaleur, plaies…. Traitement par les plantes, connus du plus grand nombre : ça reste dans le cadre familial (équivalent de la mère occidentale qui désinfecte elle-même les bobos de sa progéniture).

2) Les maladies du Docteur Blanc : imprécises avant son arrivée. Classées par défaut dans les deux dernières catégories. Pour le kanak, ce qui ne se voit pas est plus grave. Un mal de tête, une sciatique, sont plus inquiétants qu’une plaie purulente. Le Blanc est assez doué pour ce qui ne se voit pas. Il a des médicaments pour tout. Oui, mais il ne connaît pas les maladies liées aux esprits. Alors il est prudent de voir le guérisseur et de prendre une potion traditionnelle, tout en allant voir le docteur.

3) Les malheurs liés à des fautes commises : ce sont aussi bien des maladies que des drames personnels tels un échec professionnel, affectif, la disparition de personne, la perte d’une récolte. Les fautes résultent souvent d’inadvertance : oubli de rituel, de coutume, irrespect, transgression involontaire. Les esprits des ancêtres sanctionnent, de façon très imaginative.

Parfois, aucune relation apparente entre le trouble manifesté et la faute. Une enquête est nécessaire. C’est plus simple quand il y a eu contact direct avec un objet interdit ou sacré, les symptômes sont évidents : lésions cutanées à l’endroit du contact…

4) Les agressions par sorcellerie : " Boucans " envoyés par un ennemi. Agression par esprit malveillant. Les grands chefs ont des gardes du corps spécialistes des questions mystiques. Les catégories trois et quatre sont soignées par le guérisseur ou le voyant. Héritier d’une tradition transmise oralement et par quelques carnets de notes, ses méthodes sont secrètes. Il connaît la procédure par vision. En fait, l’opposition entre médecine traditionnelle et allopathique n’est pas spécifique au monde kanak. Les occidentaux recourent autant à leurs guérisseurs et spécialistes de l’âme, bardés de titres plus modernes. Homéopathes, magnétiseurs, ostéopathes, patamédecines diverses, s’offrent à traiter au-delà du problème physique. Les points communs sont le secret des techniques, les croyances intégristes, l'influence sur le patient, l'importance du temps passé à la relation. Une différence, avouons notre cynisme : le guérisseur kanak travaille encore pour le statut, pas pour l’argent : les contraintes matérielles des deux sociétés ne sont pas les mêmes. Mais le guérisseur kanak est le plus content de rendre service. Il ne lui viendrait pas à l’idée de refuser un patient, ou de lui fermer sa porte la nuit. Qui se fait le plus plaisir au bout du compte? Le kanak récompensé à quatre vingt pour cent de reconnaissance? Ou le doc blanc vu comme un fonctionnaire surpayé de la CAFAT (assurance maladie Calédonienne) ? Question de personnalité. Ceux qui vivent par les autres sont à la recherche de reconnaissance. Peut-être ne sont-ils pas assez guérisseurs ? Les patamédecines les en rapprochent.

En pratique, voici les écueils, il me semble, pour le médecin occidental en terre kanak :

-Si la maladie traîne malgré le traitement, le kanak est vite convaincu que le retard vient des esprits.

-Aucune notion d’évaluation chez le kanak : quand le traitement traditionnel est pris simultanément avec celui du docteur, la guérison est attribuée préférentiellement au premier (c’est aussi vrai pour beaucoup de blancs adeptes des médecines alternatives.)

-Le docteur ne connaissant rien à l’histoire du clan et des ancêtres, il est incompétent dans certaines domaines. Il n’est pas " généraliste ".

-Les facteurs de risque ne représentent rien pour le kanak : Les maladies insidieuses telles que diabète, hypertension, insuffisance rénale, ne sont pas considérées comme importantes. Souvent seule la prise en charge à cent pour cent assure le suivi. Prendre sa pilule, faire sa prise de sang, permet de voir régulièrement le docteur et de lui parler d’autres problèmes gratuitement.

Proposition : intégrer le guérisseur dans le réseau médical classique, reconnaître l’approche différente, souvent complémentaire. En opposant les deux médecines, on prive souvent le patient des bénéfices de l’une. Le blanc caustique dira que le guérisseur entretient des croyances fausses chez les kanaks et l’obligation de recourir à ses soins. Vrai. Vrai, de même, pour les patamédecines que les occidentaux continuent à consulter après un siècle de progrès scientifique rapide. Le rôle du médecin n’est pas d’extirper une partie de l’inconscient de son patient, tout au plus de l’aider à la reconnaître… S’il en est capable ! Au philosophe de faire évoluer la culture. Maître Profit est la philosophie conquérante de l’Occident. Il envahira tôt ou tard le monde kanak. Ne lui facilitons pas la tâche en détruisant les piliers de la culture traditionnelle, comme le monde des Esprits, juste pour prouver que nous sommes les plus savants.”

 

Le système de santé de la Nouvelle-Calédonie (à partir d'un article de Wikipédia)

Le système de santé de la Nouvelle-Calédonie est relativement bon, qualitativement équivalent à celui de la France métropolitaine. Les dépenses de santé constituent 8,8% du PIB.

1) Etablissements hospitaliers :

* Centres hospitaliers publics

Le territoire compte sept centres hospitaliers, répartis entre trois établissements publics :

a) Les 4 établissements du Centre hospitalier territorial (CHT) de Nouvelle-Calédonie, situés sur le Grand Nouméa, comportent 516 lits et places au 31 décembre 2007, dont 457 de court séjour (220 en médecine, 133 en chirurgie, 64 en obstétrique et 40 en soins critiques), 34 de moyen séjour et 25 de long séjour répartie comme suit :

-CHT (Centre Hospitalier Territorial) Gaston-Bourret : dans le centre-ville de Nouméa, sur le port, à l'emplacement de l'ancien fort Constantine (première construction de Port-de-France en 1854), 281 lits de court séjour et quelque 20 places d'hospitalisation de jour,

-CHT de Magenta : dans le quartier du même nom à Nouméa, pôle " mère - enfant " du CHT en accueillant les services de pédiatrie, gynécologie, obstétrique et la maternité, quelque 160 lits de court séjour, 14 places d'hospitalisation de jour et 13 postes d'hémodialyse,

-Centre médical du Col de la Pirogue : situé dans le col qui lui a donné son nom dans la commune de Païta, à 40 km de Nouméa, centre de convalescence et de rééducation, 34 lits de moyen séjour,

-Centre Raoul Follereau : sur la presqu'île de Ducos, centre Hansénien, ou léproserie, 25 lits de long séjour et accueille en permanence une quinzaine de malades.

b) L'établissement du Centre hospitalier spécialisé (CHS) Albert-Bousquet : dans le quartier de Nouville à Nouméa. C'est à la fois un centre de psychiatrie et de gériatrie, qui compte 263 lits (76 en gériatrie dont 56 en long séjour et 20 de réadaptation de moyen séjour, et 187 en psychiatrie dont 108 complets et 79 partiels).

c) Les 2 établissements du Centre hospitalier du Nord (CHN) : 80 lits dont 66 en court séjour (31 en médecine, 15 en chirurgie, 25 en obstétrique et 5 en soins critiques) et 14 de moyen séjour, répartis comme suit :

-CHN Paula Thavoavianon : à Koumac sur la côte ouest, 42 lits en court séjour (17 en médecine, 13 en chirurgie, 9 en obstétrique et 3 en soins critiques),

-CHN Raymond-Doui Nébayes : à Poindimié sur la côte est, 38 lits dont 24 en court séjour (14 en médecine, 2 en chirurgie, 6 en obstétrique et 2 en soins critiques) et 14 polyvalents de soins de suites et de réadaptation en moyen séjour.

*Établissements privés :

À ceci s'ajoutent trois cliniques privées, toutes à Nouméa, pour 178 lits de court séjour au 31 décembre 2007 (63 en médecine, 73 en chirurgie, 26 en obstétrique et 16 en soins critiques) :

a) Clinique Magnin : dans le quartier de la Vallée des Colons à Nouméa, la plus ancienne (1938) et plus importante clinique privée avec 82 lits (16 en médecine, 40 en chirurgie, 19 en obstétrique et 7 en soins critiques), elle fut la première maternité créée sur le Territoire, et reste encore aujourd'hui le deuxième lieu d'accouchement derrière le CHT de Magenta, et a également été le premier centre d'urgences et la première banque du sang (en 1952), elle occupe aujourd'hui le 1er rang des hôpitaux calédoniens en matière d'urologie.

b) Clinique de la Baie des Citrons : dans le quartier du même nom, une SARL de groupement de médecins, 62 lits (21 en médecine, 32 en chirurgie et 9 en soins critique).

c) Polyclinique de l'Anse Vata : dans le quartier éponyme, héritier d'un hôpital militaire américain de la Seconde Guerre mondiale, surtout connu pour sa maternité (le 3e lieu d'accouchement du Territoire), 34 lits (26 en médecine, 1 en chirurgie et 7 en obstétrique).

*Caractéristiques :

La capacité totale d'hospitalisation en court séjour était donc au 31 décembre 2007 de 701 lits soit une densité de 2,9 lits pour 1000 habitants. Avec le moyen et long terme et la psychiatrie complète, on arrive à 958 lits, soit 3,96 lits d'hôpital pour 100 000 habitants (ce même rapport était à la même date de 7,08 lits pour 1 000 habitants en France métropolitaine, le taux de la Nouvelle-Calédonie s'apparentant avec ceux en Europe de l'Italie, de l'Espagne, de la Suède, du Danemark ou de Chypre). Il faut y adjoindre les 42 lits des 22 Centres médico-sociaux (dits " dispensaires "). De nombreuses opérations très spécialisées et un certain niveau technique (notamment pour le traitement des tumeurs, des maladies de l'appareil circulatoire, du système nerveux ou les malformations) nécessitent des évacuations sanitaires (Evasans), essentiellement vers l'Australie : leur nombre a atteint un niveau record en 2004 (environ 2 200), mais a tendance à décroître fortement depuis (il n'y en a eu que quelque 1 250 en 2008)2. Le fort taux d'occupation des établissements existants, l'exiguïté, la vétusté et la non-adaptation à une médecine moderne des locaux historiques de Gaston-Bourret et l'éclatement du CHT en quatre sites différents ont poussé les pouvoirs publics à lancer leur réunion sur un pôle commun, dans le quartier de Koutio à Dumbéa, soit la banlieue proche de Nouméa : les travaux du " Médipôle " (sur 75 000 m2, il est prévu pour offrir environ 650 lits et doit comprendre l’hôpital proprement dit, un plateau technique de 12 salles d’opération, un bâtiment logistique, l’Institut Pasteur, le centre de radiothérapie dédié au traitement du cancer et un centre de soins de suite et de rééducation CSSR), dont le coût est évalué à 37 milliards de F CFP lors de son lancement et de son premier vote au Congrès en 2005 puis revu à 44 milliards (avec un second vote) en 2009, doivent débuter en 2010 et aboutir en 2015.

2) Centres médico-sociaux

Il existe de plus 42 lits polyvalents de proximité dans 26 Centres médico-sociaux (dits " dispensaires ") chargés de répondre aux besoins de la population dans le domaine curatif, de l’urgence et de la prévention, gérés par les Directions provinciales des affaires sanitaires et sociales (DPASS) et répartis en zone rurale (la " Brousse " et les Îles). 23 Centres médico-sociaux secondaires et infirmeries prennent le relais dans le reste du Territoire :

*Dans les Îles Loyauté, seule des trois Provinces à ne pas disposer de centres hospitaliers, les dispensaires peuvent jouer le rôle de relais de ces derniers et sont donc plus fournis en lits que ceux de la Grande Terre : ils sont 5 (Wé et Chépénéhé à Lifou, Tadine et La Roche à Maré et Ouloup à Ouvéa) pour 31 lits, et 15 centres médico-sociaux secondaires et infirmeries (à Hnacaom, Siloam, Hnathalo, Hnaeu, Wedrumel, Drueulu, Mu et Hmelek sur Lifou, à Wabao, Hnawayetch, Rawa et Pénélo sur Maré, à Mouli et St Joseph sur Ouvéa, et à Tiga).

*Dans le Sud : 7 dispensaires (à Boulari au Mont-Dore, à Vao à l'île des Pins et dans les villages-centres de Païta, La Foa, Bourail, Thio et Yaté) pour 9 lits, et 6 Centres médico-sociaux secondaires et infirmeries (à Dumbéa et Dumbéa Nord, à Plum et l'île Ouen au Mont-Dore, et à Unia et Goro à Yaté),

*Dans le Nord : 14 dispensaires, soit un dans chaque village-centre de commune à l'exception de Koumac (qui dispose d'un hôpital) et de Pouembout (le village formant une agglomération quasi continue avec Koné) pour 2 lits seulement, et 2 Centres médico-sociaux secondaires et infirmeries (au village minier de Népoui à Poya et à la tribu de Bondé à Ouégoa).

3) Professionnels de santé

*Pour ce qui est de la présence de médecins, ils étaient 545 en activité au 1er janvier 2008, soit une densité de 223 médecins pour 100 000 habitants (soit largement moins qu'en France métropolitaine où elle est de 339 médecins pour 100 000 habitants au 1er janvier 20091), dont 258 libéraux (105,6 pour 100 000 habitants) et 287 salariés (117,4 pour 100 000 habitants).

Il existe toutefois de fortes disparités géographiques puisque la densité se rapproche dans le Sud de celle de la métropole avec 274,2 médecins pour 100 000 habitants (un niveau comparable à celui de pays européens comme la Finlande, et supérieur à celui du Royaume-Uni), contre seulement 96,3 dans le Nord et 79,8 dans les Îles.

46,8 % d'entre eux (255) sont des généralistes, avec une densité encore une fois en dessous de celle de la France métropolitaine même si l'écart est moins important (104,3 contre 135).

Pour ce qui est des spécialistes, ils sont avant tout concentrés dans le Sud (158,3 pour 100 000 habitants, soit environ le niveau de la métropole, alors que la densité est seulement de 21,88 dans le Nord, nulle aux Îles et de 118,7 pour l'ensemble du Territoire) et plus particulièrement dans les grands centres hospitaliers de Nouméa.

*Aux médecins, il faut ajouter quelques :

125 chirurgiens-dentistes (densité de 51,1 pour 100 000 habitants, assez prêt des 68 de la métropole à la même date),

106 sages-femmes (163,2 pour 100 000 femmes âgées de 15 à 49 ans, c'est là une densité supérieure à celle de la France métropolitaine, qui était de 125 pour 100 000 femmes dans la même tranche d'âge à la même date),

141 pharmaciens (57,7 pour 100 000 habitants seulement, soit moins de la moitié de la densité de 118 de la métropole) dans 57 officines (54 libérales, dont 21 à Nouméa, 14 dans les autres communes du Grand Nouméa et 19 en " Brousse " et Îles, et 3 mutualistes, dont 2 à Nouméa et 1 hors-Grand Nouméa),

1 098 infirmiers (449,2 pour 100 000 néo-calédoniens, contre 780 en France métropolitaine),

116 masseurs-kinésithérapeutes (47,5 pour 100 000 néo-calédoniens, là encore une densité moitié moins forte qu'en métropole où elle atteint 105 au 1er janvier 2007).

4) Maladies spécifiques et généralités sur la prise en charge médicale de la population

(avec l'aide du site "www.croixdusud.info")

Outre les maladies connues et répandues dans le monde et dans les pays avancés la Nouvelle-Calédonie a plus spécifiquement des cas de dengue, leptospirose, lèpre, ciguatera.

Curieusement pour un pays tropical et de façon jusqu'ici inexpliquée, le paludisme n'existe pas en Nouvelle-Calédonie alors que cette maladie affecte l'archipel proche (400 km) du Vanuatu.

Citons aussi le Sida qui reste à un niveau faible : 15 nouveau cas en 2001 et environ 240 cas actuellement (1 cas pour 1000 habitants).

*Dengue

La dengue est appelée aussi "grippe tropicale". Les virus responsables de cette maladie sont transmis à l'homme par le moustique Aedes aegypti. Soixante à 100 millions de personnes sont infectées chaque année dans le monde. La forme grave de la maladie, la dengue hémorragique, en recrudescence dans plusieurs régions intertropicales, est responsable de plus de 20 000 morts annuelles. Un des seuls moyens de lutte est le contrôle des populations de moustiques.

En Nouvelle-Calédonie elle affecte surtout les zones urbaines et se développe sporadiquement sous forme épidémique de peu d'ampleur. Jusqu'ici les cas restent bénins. La plupart des communes de Nouvelle-Calédonie ont des programmes d'éradication des moustiques dans les zones urbanisées.

*Leptospirose

Cette maladie infectieuse est provoquée par une bactérie, un spirochète, du genre Leptospira qui vit essentiellement parmi les rongeurs mais aussi dans les zones où il y a de l'humidité et de l'eau. La transmission se fait surtout par contact avec les milieux souillés et par les animaux infectés.

En Nouvelle-Calédonie 193 cas ont été répertoriés sur deux ans. Cette maladie touche surtout les professions agropastorales en contacts répétés avec l'eau douce, les animaux domestiques et l'élevage, des porcs notamment.

*Lèpre

C'était il y a 50 ans une maladie anormalement répandue, notamment dans les populations mélanésiennes. Avec le système de santé qui permet le traitement de tous, cette maladie est devenue rare (proportion de 3 cas sur 100000 personnes alors qu'il était encore de 15/100000 en 1980). Le centre de traitement Raoul Follereau à Nouméa n'a plus que 15 malades résidents

*Ciguatera

La Ciguatera (dénommée localement "gratte") est un empoisonnement typique dans les territoires où l'on consomme des poissons des récifs coralliens. Les cas sont assez nombreux (1645 cas depuis 16 ans) mais ils ne sont pas tous répertoriés. L'affection est en général sans conséquences graves.

Autres pathologies fréquemment rencontrées

L'éventail des maladies que l'on rencontre ici est à peu de choses près assez identique à celui de la métropole, avec pour les pathologies récurrentes quasiment la même séquence. Ainsi nous sommes ici en hiver et nous avons traité successivement une épidémie de gastro-entérites, une de conjonctivites virales, et actuellement débutent une grippe épidémique ainsi que les maladies des voies aériennes supérieures des enfants.

Une mention particulière doit être faite pour les rhumatismes articulaires aigus, particulièrement nombreux en Nouvelle Calédonie. Il s'agit d'une complication de certaines maladies dues à une famille de streptocoques, le streptocoque béta-hémolytique du groupe A de Lancefield (agent causal de certaines angines dites streptococciques, de la scarlatine, de certaines sinusites, parfois d'abcès dentaires, de la Chorée de Sydenham ou chorée rhumatismale, qui survient un à six mois après une infection ORL à streptocoque A. Le plus souvent, l'infection bactérienne initiale responsable de la maladie est une angine avec amygdalite cryptique (les bactéries se logent dans les anfractuosités des amygdales). On estime que le risque de développer un Rhumatisme Articulaire Aigu aux décours d'une angine streptococcique est de trois pour cent (Il peut s'agir également, nous l'avons vu, d'une sinusite purulente ou d'une carie dentaire).

La gravité de la maladie est liée aux fréquentes séquelles cardiaques valvulaires (les valves sont des clapets à l’entrée et la sortie et entre les différentes parties du cœur (oreillettes, ventricules, aorte, veine cave). Quatre vingt pour cent des maladies cardiaques non congénitales (non présente à la naissance) observées avant vingt cinq  ans sont d'origine "rhumatismale" (donc le RAA).

Sa fréquence a beaucoup diminué dans les pays industrialisés mais elle reste très fréquente dans les pays tropicaux ainsi que dans les départements et territoires d'outre-mer (toutefois je n'en ai observé que très rarement en Haïti où pourtant la prise en charge des maladies potentiellement à streptocoques est pour le moins dérisoire, comme d'ailleurs la prise en charge de toutes les maladies globalement...  En France métropolitaine, les cas se voient surtout chez les migrants récemment arrivés.

La maladie rhumatismale est une réaction immunologique disproportionnée du tissu conjonctif à une infection provoquée par un le streptocoque de type A : tout se passe comme si ce streptocoque déclenchait la synthèse d'anticorps spécifiques qui, non seulement combattent la bactérie, mais également attaquent certaines protéines de l'organisme par réaction croisée.

Une prédisposition familiale semble certaine.

Toutefois, à l'inverse de ce que j'ai pu observer en Afrique de l'Ouest par exemple, la prise en charge de la maladie et de ses complications est excellente, avec une parfaite couverture chirurgicale des atteintes cardiaques (en générale assurée, nous l'avons vu, en Australie, à Sydney) et des traitements définitifs, anti coagulants en particulier, qui en découlent.

De manière plus spécifique à la Kanaky, outre les quatre maladies que je viens de citer, les addictions pouvant justifier une prise en charge sont nombreuses, et plus particulièrement l'alcool qui représente un véritable fléau (le whisky étant la boisson favorite des consommateurs). Les conséquences sont évidentes lors des fins de semaine, où les accidents de voie publique sont nombreux et volontiers graves car le réseau routier est difficile et dans un état médiocre.

Le cannabis est aussi particulièrement endémique, et les plantations sont nombreuses dans les tribus. Le climat chaud et humide permet une excellente croissance des plants, et les dérivés obtenus sont concentrés. Ainsi, la grande majorité des jeunes adolescents s'adonnent à cette consommation, et la plupart de ces jeunes sont dès le petit matin dans un état second. Il en découle bien entendu un fréquent désintérêt pour la scolarité et pour toutes formes de production.

Un autre fléau est en train de progresser dans ce pays, qui est l'obésité pour toutes les tranches d'âge. On peut bien entendu l'imputer à une alimentation de médiocre qualité, comme en Europe occidentale ou aux Etats Unis, et tout particulièrement à la surconsommation de sucres rapides que l'on trouve dans les sodas (imitations du Red Bull, Coca Cola, Fanta, etc.) et les confiseries offertes systématiquement aux enfants par les mamans lorsqu'elles se rendent à l'épicerie. Aussi les troubles métaboliques sont nombreux et la fréquence des diabètes, insulino dépendants ou non, est importante. De cela découle bien sûr la multiplication des maladies cardio-vasculaires pour des âges de plus en plus précoces.

Le virus HIV est très peu fréquent en Nouvelle Calédonie, pour des raisons que je sais pas encore expliquer. Pourtant, la sexualité semble relativement débridée car quatorze ans est un âge fréquent pour la première grossesse, laquelle est en général acceptée par les familles et les jeunes parents. J'ai ainsi pu rencontrer en un mois de présence plusieurs grand-mères dans la trentaine. La contraception aux décours est cependant très demandée et les poses de stérilets, d'implants, ou la prescription d'œstro-progestatifs sont des raisons fréquentes de consultations, quel que soit le niveau culturel des jeunes femmes. A noter toutefois la grande pudeur des mélanésiens à tous las âges, qui impose pour réaliser un examen clinique une multitude d'acrobaties de la part du médecin pour atteindre un petit espace de peau. Ainsi les femmes à la plage ou à la rivière se baignent en robe, T-shirt, et avec leur chapeau.

Enfin, on est surpris dans ce contexte social de ne rencontrer que peu de syndromes psychotiques, et la prise en charge de décompensations est rare. Le suivi des patients qui en sont atteints semble d'ailleurs de qualité, et chaque dispensaire dispose d'un semainier permettant de convoquer les patients qui n'auraient pas renouvelé spontanément leur traitement.

D'ailleurs, pour ce qui est de cette surveillance systématique en général et des convocations qu'elle implique, elle s'exerce aussi pour les vaccinations à toutes les tranches d'âge, la surveillance des traitements anticoagulants, etc. Je croix donc pouvoir affirmer d'ores et déjà que la médecine préventive est excellente ici, tout comme d'ailleurs la médecine scolaire, la médecine du travail. Globalement, l'efficience des soins me rappelle tout à fait celle dont la France pouvait s'enorgueillir il y a peu d'années encore, et il est bien satisfaisant de constater que y compris dans le secteur privé les dépassements d'honoraires par exemple sont interdits, et la couverture sociale concerne toute la population sous une forme ou une autre, pour les maladies légères comme lourdes (aide médicale gratuite, sécurité sociale, mutuelles). Les arrêts de travail sont rares, et les patients d'eux-mêmes souhaitent qu'ils soient les plus courts possibles : lorsqu'on propose deux jours pour une maladie fébrile par exemple, ou une lombalgie, la plupart du temps le malade demande si une seule journée pourrait suffire...

 

24 mai 2012

Mon deuxième poste de travail : le dispensaire de Canala

Canala (Xârâcùù dans la langue éponyme) est une commune de Nouvelle-Calédonie située sur la côte Est de la Grande Terre en Province Nord,  entre Thio et Kouaoua, à 45 kilomètres de Kouaoua par une route de montagne étroite et toute en virages.

1capitale de la nouvelle calédonie droiteBlottie au fond d'une baie, Canala, baptisée Napoléonville à la grande époque, a failli devenir la capitale de la Nouvelle-Calédonie, car l’amiral Tardy de Montravel tomba littéralement sous le charme de ce site au potentiel de développement qu’il estimait important. Un siècle plus tard, pendant les années 1980, Canala s'est rendue autrement célèbre pendant les "Événements", la commune étant alors un redoutable fief indépendantiste. Une tendance qui n’a pas changé, mais qui s’affirme en général plus paisiblement. Toutefois,  l'adjonction des mots "en général" s'impose car récemment encore notre dispensaire lui même a été le siège de malveillances : une infirmière a été pillée dans sa maison durant son sommeil, et le quatre-quatre utilisé pour les visites en tribus a été dérobé puis incendié. Cela d'ailleurs entraine beaucoup d'agitation dans le village qui a vu se dérouler depuis un match de football solidaire du service de santé, une marche coutumière, etc. D'ailleurs les coupables ont été trouvés, une bande de jeunes, et sont entre les mains des chefs de tribus dont ils risquent de subir la juridiction avant celle de la justice territoriale, sûrement beaucoup plus... tendre...

        Aujourd'hui, Canala est une commune étroitement liée à l'activité du nickel.  Mais elle a autrefois connu son heure de gloire avec les sources thermales de La Crouen dont les eaux avoisinent la température de 40°, et dont les vertus étaient connues pour lutter contre l'hypertension, l'asthme, les rhumatismes et les troubles respiratoires. Beaucoup d’habitants aimeraient d’ailleurs réhabiliter ce site d’exception, afin de créer un attrait touristique supplémentaire à leur village. À voir aussi, la cascade de Ciu, les vallées de Dothio et de la Pehanno ainsi que le Pic des Morts qui offre un point de vue magnifique.

Il existe deux moyens de se rendre à Canala : soit par Thio, soit par La Foa.

Si l’on vient de Thio, il faut emprunter la route à horaires en bord du Pacifique  (qui fonctionne en sens unique alterné de 7 heures à 17 heures), sinueuse et escarpée, par le col de Petchécara. Depuis le sommet du col de Petchécara, on y découvre un fabuleux panorama. En cheminant, on traverse les jolies vallées de la Dothio et de la Pehanno, et par temps clair, on aperçoit les Iles Loyauté.

2 la route qui vient de la foa gaucheLa route qui vient de La Foa (c'est à dire "la transversale" décrite dans la page 2 de ce blog) est donc plus praticable : c'est la route qui passe par le col d’Amieu, circulant cette fois dans les deux sens et qui serpente à proximité des sources thermales de La Crouen.

C'est sur le site "tresordesregions.mgm.fr" qu'on peut trouver une bonne description de Canala :

"Il s'agit donc d'une commune de la province du Nord de Nouvelle-Calédonie au milieu de la côte orientale et à l’extrême sud-est de la province du Nord. Elle mesure 43 870 ha dont 13 693 de terres coutumières de l’aire Xaracuu, partagées entre treize tribus (un seul district) et qui forment 88% de la population. Celle-ci était de 2 800 hab. en 1956, 3 970 hab. en 1989 (en comptant Kouaoua) puis de 3 400 en 1996 après l’émancipation de Kouaoua, 3 500 en 2004 (4 700 avec la population comptée à part) ; aujourd'hui, on dénombre 5125 habitants dont  96% de Mélanésiens. Les deux tribus les plus étoffées sont celles de Gélima et de Méhoué, respectivement aux abords sud et nord de Canala.

La côte est extrêmement découpée par les profondes baies de Canala à l’ouest et de Nakéty au sud-est, séparées par la presqu’île Bogota, qui monte à 613 m et que termine le promontoire du cap Dumoulin. La baie de Canala s’enfonce de 12 km entre la presqu’île Bogota et la presqu’île Mara, qui est partagée avec Kouaoua, offrant un site intéressant. La vallée de la Canala compte plusieurs villages dont Négropu, Mérénémé et Boakaine, et la source thermale sulfurée sodique de la Crouent, dont l’établissement thermal a fonctionné de 1946 à 1984.

Le mont Canala, au sud du bourg, monte à 1098 mètres et domine de peu le haut plateau de Dogny aux vastes pelouses ; les cascades de Ciu, sur le versant nord au-dessus du bourg, sont réputées. Quelques pétroglyphes (sculptures préhistoriques dans la pierre) ont été découverts sur les reliefs côtiers. Le point culminant de la commune est un peu à l’est, au Nakada (1 134 mètres), aux sources de la Nakéty qui débouche en mer un peu en aval du village Nakéty, lieu de naissance d’Éloi Machoro, d’environ 500 habitants.

Le bourg de Canala est à 165 kilomètres de Nouméa ; il a débuté comme poste militaire, et se nomma même, on l'a vu, Napoléonville en 1859 ; mais très vite du nickel a été trouvé et exploité non loin, au-dessus de Boakaine, un peu à l’ouest de Canala. Du cobalt a également été extrait. L’activité minière est maintenant concentrée à Kouaoua (mon deuxième poste de travail dont j'ai esquissé le décor en page 2 de ce blog) , qui s’est séparée de Canala pour former une nouvelle commune en 1995, et sur les collines littorales juste à l’est de Nakéty, village qui semble également envisager une scission. Sur le site de Nakéty, la NMC (SMSP) possède les mines Édouard, Eureka et Circé qui fournissent 400000 tonnes par an avec 35 salariés, et partage un appontement d’expédition avec le groupe Ballande (sociétés Gemini et des mines de Nakéty ou SMN) qui exploite les gisements de Bogota, Barbouillé et Gio. Canala est reliée à La Foa et Nouméa par la transversale de Sarraméa qui passe par le col d’Amieu.  Nakéty a l’une des principales tribus de la commune (500 membres).

Sur la commune de Canala, on trouve une supérette et un guichet de banque, cinq écoles primaires (600 élèves), une maison familiale rurale et un collège public (260 élèves) ; plus de 44% de ses habitants ont moins de 20 ans. L’école populaire kanak (EPK) a acquis une célébrité dans l’enseignement de la langue mélanésienne (ici le xaracuu), également enseignée au collège public. Canala est la commune la moins agricole du pays, avec seulement 82 hectares "exploités"."

 

        Histoire :  

Canala fut donc d'abord nommée Napoléonville, et Tardy de Montravel voulait en faire la capitale de la Nouvelle-Calédonie.

Au début des années 80, Canala a pris une part importante pendant les Evénements menés par Eloi Machoro. La commune était alors un fief indépendantiste très engagé. Je reviendrai dans cette page sur la vie et les actions de Eloi Machoro qui reste un repère essentiel pour les militants favorables à l'indépendance de la Nouvelle Calédonie.

Bien avant lui, c'est en partie à Canala (une trentaine sur cent-onze que contenait  ce groupe) qu'a été constitué le groupe kanak  qui a été "convié" par les autorités coloniales à "découvrir" l'exposition coloniale de 1931 à Paris.

 

        Économie : 

Après avoir prospéré grâce aux sources thermales de La Crouen, Canala a cherché à réhabiliter le site thermal, sans succès faute d'entente entre les tribus concernées. 

La commune comporte actuellement 3 mines en activité, elle développe depuis plusieurs années les activités agricoles (OGAF) et touristiques (gîtes, accueil chez l'habitant). La fête de la mandarine et des fruits de Canala attire plusieurs milliers de visiteurs tous les ans au début du mois de juillet.

 

        Lieux et monuments :  

Au nord-ouest du village, enfin, la baie de Canala offre également de belles vues, surtout depuis le Pic des Morts.

Sont remarquables les sites suivants : la cascade de Ciu, les sources thermales de La Crouen,3 sont remarquables les sites suivants droite le panorama du col de Petchécara, la Baie de Canala (une des plus grandes de Nouvelle-Calédonie), le lac de Ouassé sur la presqu'ile de Bogota, la Baie de Nakety, l'Église de la Mission, l'Église de Nakéty (et la tombe d'Éloi Machoro).

                                                                                          Sources thermales de la Crouen

L'Histoire donc de Canala est dense, à la fois à l'échelle locale, mais également à l'échelle calédonienne et dans les relations entre ce territoire et la métropole.

De là, est parti donc l'essentiel d'un groupe de 111 kanaks, les Canala, qui a été comme nous allons le décrire "exposé" comme des animaux dans un zoo lors de l'exposition universelle de 1931.

C'est  ici aussi que vont naître les "événements" de 1984, 1988, et c'est à deux pas qu'Eloi Machoro est enterré.

Afin de mieux comprendre les problématiques des kanaks par rapport à l'administration coloniale, il est indispensable de raconter l'épisode de la participation des "Canala" à l'exposition coloniale de 1931

(Article conçu en partie à partir du site "histoire géo lycée Rombas", de celui de Site Hnet : humanities and social Sciences).

"La seconde vague de colonisation française débute presqu'avec la défaite de 1871 contre la Prusse. La jeune république (la III ème)  voit dans la colonisation une façon  de relever la tête en attendant la Revanche. En 1914, l'Empire colonial  français est à son apogée ; il  s'étend sur 12 millions de km² (soit environ 24 fois la France) sans que les Français y soient vraiment très sensibles.

 Le Ministère  des Colonies et d'autres instances gouvernementales décident de célébrer en 1931 les grandes réussites du système colonial français (notons qu'il ne s'agit pas de la première exposition de ce type en France : Amiens, Marseille, Paris en 1906, Bordeaux en 1907, Lyon en 1914, Marseille en 1922 organisent des expositions coloniales).

C'est à Canala, que les Français ont trouvé leurs premiers alliés Kanak, à la fois dès 1853, mais surtout en 1878 lors de la grande révolte d'Ataï ; c'est donc logiquement qu'une trentaine de Kanak originaires de Canala sont partis à cette exposition coloniale.

En janvier 1931 donc, cent onze Kanak, dont une trentaine originaires de Canala, sont partis à l'exposition coloniale, pour présenter des danses et leurs coutumes. Il est utile de rappeler que le but de cette exposition était de donner à voir "l'œuvre civilisatrice" de la France. Ces volontaires se retrouvèrent exposés comme cannibales au jardin d'acclimatation, puis, pour certains, échangés contre des crocodiles et présentés dans un zoo de Hambourg et dans une tournée dans les grandes villes allemandes. Voici ci-après quelques courriers relatant cet épisode, qui montrent bien que notre ancien ministre Claude Guéant n'a rien inventé !

En six mois, l'exposition (qui se tient à Vincennes) attire près de 8 millions de visiteurs venus découvrir la grandeur de la France et  les facettes de ce vaste empire très exotique pour les Métropolitains.

 Paul Raynaud, ministre des Colonies, dans un de ses discours (le  2 juillet 1931)  présente ainsi la colonisation : "La colonisation est un phénomène qui s’impose, car il est dans la nature des choses que les peuples arrivés à son niveau supérieur d’évolution se penchent vers ceux qui sont à son niveau inférieur pour les élever jusqu’à eux."

 Nous sommes bien loin du discours de Sarkozy prononcé en décembre 2007 en Algérie où ce dernier critique ouvertement et fortement le phénomène colonial.

 A cette époque, la colonisation fait à peu près l'unanimité en France, exceptée chez quelques intellectuels et au Parti communiste. Ce dernier organise une contre-exposition qui passe à l'époque presque inaperçue. Elle cherche à dénoncer les crimes de l'impérialisme colonial.

Un blog dédié au fait colonial  est assez complet mais plutôt polémiste : il s'agit de lire les articles avec un œil critique et vigilant (etudescoloniales.canalblog.com/archives/21___l_histoire_coloniale_a_l_ecole/index.html).

Il faut de fait évoquer ce qu'était l'exposition coloniale, dans la réalité.

En effet, celle-ci mettait en scène tous les peuples prétendus sauvages qui avaient pu bénéficier de la  civilisation européenne.

Parmi les stands qui ont été riches en documents de toutes sortes,  on trouvait celui des anthropophages de Nouvelle-Calédonie d'où les 111 Kanaks ont été envoyés à Paris pour représenter l'œuvre "civilisatrice" de la France.4 après claude guéant n'a rien inventé gauche

            Pour évoquer cet épisode aujourd'hui incroyable, on peut avantageusement découvrir un petit roman de Didier Daenickx intitulé "Cannibale", dont voici le résumé : 1931, l’Exposition Coloniale. Quelques jours avant l’inauguration officielle, empoisonnés ou victimes d’une nourriture inadaptée, tous les crocodiles du marigot meurent d’un coup. Une solution est négociée par les organisateurs afin de remédier à la catastrophe. Le cirque Höffner de Francfort-sur-le-Main, qui souhaite renouveler l’intérêt du public, veut bien prêter les siens, mais en échange d’autant de Canaques. Qu’à cela ne tienne ! Les "cannibales" seront expédiés.

Voici ci-après un extrait du texte faisant référence à un échange avec l'Allemagne d'un certain nombre de ces mélanésiens contre un troupeau de crocodiles :

- Ah, c’est enfin vous, Grimaut ! Cela fait bien deux heures que je vous ai fait demander... Que se passe-t-il avec les crocodiles ? J’ai fait le tour du parc ce matin, avant de venir au bureau, je n’en ai pas vu un seul dans le marigot...

     Grimaut commence à transpirer. Il baisse les yeux.

- On a eu un gros problème dans la nuit, monsieur le haut-commissaire... Personne ne comprend ce qui a bien pu se passer...

- Cessez donc de parler par énigme ! Où sont nos crocodiles ?

- Ils sont tous morts d’un coup... On pense que leur nourriture n’était pas adaptée... Á moins qu’on ait voulu les empoisonner...

     L’administrateur reste un instant sans voix, puis il se met à hurler.

     Grimaut déglutit douloureusement.

 - Morts ! Tous morts ! C’est une plaisanterie... Qu’est-ce qu’on leur a donné à manger ? De la choucroute, du cassoulet ? Vous vous rendez compte de la situation, Grimaut ? Il nous a fallu trois mois pour les faire venir des Caraïbes... Trois mois ! Qu’est-ce que je vais raconter au président et au maréchal, demain, devant le marigot désert ? Qu’on cultive des nénuphars ? Ils vont les chercher, leurs crocodiles, et il faudra bien trouver une solution... J’espère que vous avez commencé à y réfléchir...

     L’adjoint a sorti un mouchoir de sa poche. Il se tamponne le front.

- Tout devrait rentrer dans l’ordre au cours des prochaines heures, monsieur le haut-commissaire... J’aurai une centaine de bêtes en remplacement, pour la cérémonie d’ouverture. Des crocodiles, des caïmans, des alligators... Ils arrivent à la gare de l’Est, par le train de nuit...

 - Gare de l’Est ! Et ils viennent d’où ?

     Grimaut esquisse un sourire.

- D’Allemagne...

- Des sauriens teutons ! On aura tout vu... Et vous les avez attrapés comment vos crocodiles, Grimaut, si ça n’est pas indiscret ?

     L’adjoint se balance d’un pied sur l’autre.

- Au téléphone, tout simplement. Ils viennent de la ménagerie du cirque Höffner, de Francfort-sur-le-Main. C’était leur attraction principale, depuis deux ans, mais les gens se sont lassés. Ils cherchaient à les remplacer pour renouveler l’intérêt du public, et ma proposition ne pouvait pas mieux tomber...

     Albert Pontevigne fronce les sourcils.

- Une proposition ? J’ai bien entendu... J’espère que vous ne vous êtes pas trop engagé, Grimaut.

- Je ne pense pas... En échange, je leur ai promis de leur prêter une trentaine de Canaques. Ils nous les rendront en septembre, à la fin de leur tournée.

Inspiré par ce fait authentique, le récit déroule l’intrigue sur fond du Paris des années trente – ses mentalités, l’univers étrange de l’exposition – tout en mettant en perspective les révoltes qui devaient avoir lieu un demi-siècle plus tard en Nouvelle-Calédonie.

            Voici comment récemment une conférence au Centre Culturel de Canala a relaté cet épisode de l'exposition des "mangeurs de chair humaine" :

"Un agent de recrutement est envoyé chez le Grand Chef Kaké pour l‘inciter à partir à Paris participer à l’exposition coloniale avec une délégation de personnes de Canala. Le grand chef ne reçoit pas d’échos favorables de la part de ses sujets. "Si personne ne veut partir, moi je vais m’inscrire demain", aurait dit le grand chef. Par respect, et parce qu‘aussi on n‘abandonne pas son chef, 36 personnes décident de l’accompagner" (Gilbert Tyuiénon)

"Les  habitants  de Canala ont reçu les colons, ont accepté l’évangélisation des tribus, ont participé à la première guerre mondiale... C‘était aussi un acte pro-français que d’accepter ce départ vers la métropole” (Martial Tyuiénon).

"Mon grand-père est parti parce qu‘il était sujet du chef. On ne pouvait pas laisser partir un Grand Chef tout seul. Mon père avait dix-huit ans et était fils unique. Lui, il est resté" (Patrice Moassadi).

Lors de l’exposition coloniale, on a trouvé aussi des gestes d’humanité chez les populations européennes. Madame Féré, à Paris, a accueilli des membres de la délégation de Canala et leur a offert des manteaux pour qu’ils se protègent du froid. A Hambourg, quelques allemands se sont liés d’amitié avec les populations de Canala et certains de nos aïeux ont donné des prénoms allemands à leur descendance. Reconnaissance de tous envers le Moniteur  Auguste Badimoin,  qui le premier a écrit pour porter plainte contre les traitements infligés aux membres de la délégation kanak.  A son retour d’ailleurs, il n’a pas été ré embauché dans l’enseignement.

            Très intéressant, le site d'un collège de Nouvelle-Calédonie qui présente les témoignages des descendants de ces zoos humains. Il s'agit d'une collecte de documents intitulée "Les Sources" (site interhg.free.fr/expoweb/index.html) où l'on comprendra bien que les "cannibales" présentés  étaient  d'un niveau autrement différent que celui qu'on voulait leur accorder.

 

- Lettre au ministre des colonies ; 28 juin 1931

            Ils sont traités comme des esclaves et sont surveillés partout et toujours. Exemple : Interdiction de dépasser de plus de vingt mètres leur habitation. Ils ne peuvent mettre qu'un morceau d'étoffe appelé "manou" et marchent pieds nus, ils dansent quatre à cinq fois par jour et la durée de chaque dans est de trente minutes, sans aucune journée de repos, même les jours pluvieux.

 

- Lettre d'Auguste Badimoin à Emile Michaudet depuis Hambourg :

Le 3 juin 1931

Badimoin (Le moniteur de l'enseignement déjà cité) écrit à Michaudet qu'il doit faire tout son possible pour les rapatrier en France, car ils souffrent trop en Allemagne. On leur interdit de mettre des linges chauds, on leur dit aussi qu'ils doivent danser du matin jusqu'au soir sans s'arrêter.

(Archives de Nouvelle-Calédonie : 1 Mi 30 R 9 - CAOM : 54 APOM 4)

            Hambourg le 3 juin 1931

            Cher Michaudet

Je vous annonce que depuis notre arrivée ici à Hambourg nous avons commencé à danser depuis le matin jusqu’au soir sans compter les autre jeux comme courses à pied, lancement de flèches de sagaies et de javelot, nage et aussi 4 gros et longs mats. Tous ces jeux doivent exécutés aussitôt après les danses et quand tout est terminé nous allons immédiatement à la construction des pirogues. Trois énormes troncs d’arbre que le directeur nous a ordonné de creuser peur en faire trois pirogues. Nous avons déjà fini une qui est servie en promenade aux visiteurs dans l’étang, les deux autres ne sont pas entièrement terminées sans compter d’autres d’entre nous qui sont occupés dans d’autre troncs d’arbres à tailler des figures. Un autre ordre du directeur est qu’au moment de la représentation nous devons sortir nu simplement en manou. On nous défend de sortir en pantalon et paletot et aussi avec les chaussures.

Il y a trois fois qu’il tombait de la pluie et au lieu de nous laisser reposer comme c’était à Paris il nous faisait danser quand même. Oh Monsieur si vous voyez comme on nous traite durement nous n’avons aucun moment de reposer ou laver notre linge. Tout le monde est dans une désolation complète nous regrettons notre séjour à Paris ou nous nous trouvions cent fois mieux qu’ici.

Nous vous prions de transmettre Mr Bergnier Mr Coulon et tous nos protégés calédoniens que les deux groupes rentrent encore en France pour voir l’Exposition car c’est notre désir et c’est à ce seul but que nous avons quitté volons aire ment notre pays et notre famille dans l’espérance qu’on nous entourerait de soin.

Aujourd’hui il pleut beaucoup hier aussi près que une vingtaine sont enrhumés et couche au lit car nous avons dansé malgré la pluie mais le directeur vient de faire sortir d’autres pour aller faire le feu dans des huttes mal couvertes c ‘est dans ces hutes que nous restons assis parterre sans nattes ni pailles comme nous a dit le directeur pour faire croire aux visiteurs que nous sommes des sauvages et qu’il n’y a encore aucun européen chez nous .

Ce qui nous cause le plus de mal c’est la nage comme ici il fait encore plus froid qu’à Paris et le beau temps est très rare .Nous comptons sur vous monsieur ainsi qu’à vos amis de trouver le seul moyen de faire rentrer à Paris.

Je vous ai déjà écrit une lettre le mois dernier j’espère que vous l’avez déjà reçue

Présentez mes meilleurs souhaits à madame ainsi qu’à Mr et M Coulon et Bergnier

Recevez Mr Emile mes sincères salutations et l’express mes sentiment respectueux

Auguste Badimoin

 

- Circulaire du ministre des Colonies au sujet des exhibitions d'indigènes, Paris le 27 juillet 1931 (Source : C.A.O.M. Affaires politiques carton 288).

            Le ministre des Colonies

            à Messieurs les Gouverneurs Généraux de l'Indochine, l'A.O.F., l'A.E.F. et Madagascar ; à Messieurs les Gouverneurs de la Côte française des Somalis et Dépendances, la Nouvelle-Calédonie et Dépendances, des Etablissements Français de l'Océanie ; à Messieurs les Commissaires de la République au Togo et au Cameroun.

            Le département a été saisi, à plusieurs reprises, de vives protestations relatives à des exhibitions d'indigènes de nos possessions d'outre-mer, et qui sont données, tant en France qu'à l'Etranger.

Ces manifestations spectaculaires, organisées par des Associations privées ou des particuliers, sous couvert de propagande coloniale ou d'un but humanitaire ou philanthropique ne constituent, en réalité, que des exhibitions mercantiles qui ne s'adressent que trop souvent à la curiosité malsaine du public. En dehors de l'attrait du nouveau et de l'insolite, ces spectacles, qui ne présentent d'ordinaire que des types inférieurs d'humanité, n'offrent, au demeurant, aucun intérêt instructif ou documentaire ; ils ne peuvent que contribuer à déformer, aux yeux des foules qui s'y pressent, l'objet même de l'œuvre de civilisation que nous poursuivons aux Colonies et discréditer les résultats que nous avons acquis dans cet ordre d'idées.

Aussi, ai-je décidé qu'il y aurait lieu, désormais, d'interdire tout recrutement d'indigènes pour ces sortes d'attractions, à moins qu'il ne s'agisse de concours se rapportant, exclusivement, à des manifestations d'ordre économique ou artistique placées sous le contrôle d'organismes officiels. Et encore, dans ce cas exceptionnel, vous voudrez bien, avant d'accueillir les demandes qui pourraient vous être adressées, me consulter sur l'opportunité de leur acceptation.

Je vous serai obligé de vouloir bien m'accuser réception de la présente circulaire.

 

- Lettre au ministre (Source : C.A.O.M., Affaires politiques, carton 288) citée dans Joël Dauphiné : Canaques de La Nouvelle-Calédonie à Paris en 1931).

Lettre de Paul Leyraud au ministre des Colonies, Saint-Gaudens, 20 octobre 1931.

            Monsieur le ministre,

            Le 12 septembre dernier vous avez bien voulu m’accorder audience, au cours de laquelle je vous ai communiqué un câble relatif aux indigènes, venus de Nouvelle-Calédonie, pour figurer à l’ Exposition, et me réclamant la date d’embarquement retour de ces indigènes. Vous m’avez demandé de vous laisser ce câble pour étude de la question et décision. Le 28 septembre je vous ai écrit pour vous demander réponse. Il y a quelques jours, à Paris, j’ai téléphoné à votre cabinet posant la même question et je suis toujours sans réponse. Je ne puis moi-même câbler pour que les familles de ces indigènes soient averties de leur sort et là-bas il doit avoir impatience.

Vous savez dans quelles conditions ces canaques se sont embarqués ; ils ont été trompés et ils ont aigreur. Ils peuvent bientôt tout travail et je crains des répercussions futures. Non pas la révolte ouverte, mais une résistance passive pour un long avenir. Ce ne sera plus la domicile d’antan et le dévouement. Ils ne seront pas blâmables et cependant il adviendra que colons et administration éprouveront les conséquences de cette résistance passive. Au moment des récoltes, alors que la main-d’œuvre temporaire est nécessaire ils invoqueront qu’ils sont eux-mêmes planteurs. Les colons qui actuellement plaident pour les canaques, non pas en égoïstes et en vue de l’avenir que je vous signale, mais par esprit de justice, seront déçus et aigris à leur tour. Le nouveau Gouverneur que vous envoyez aura des difficultés. Ca ira mal à tous points de vue. Ce que je dis est réaliste, basé sur ma connaissance des indigènes ; ils n’ oublient pas facilement.

Croyez bien que ce n’est pas à cause de ces préoccupations d’avenir que j’interviens ; elles n’existaient pas au début. Il importe d’abord qu’ils aient satisfaction, au point de vue moral simplement. Ces gens –là sont venus pour huit mois, il faut tenir parole. Tout le reste n’existe pas.

Ne croyez pas qu’ils tiennent à visiter le Midi ou les veilles. Ils réclament leur liberté, leur soleil, leur cocotiers et surtout leur familles. Et puis je crains l’hiver pour eux. Ils ne savent pas, sont imprudents, et la tuberculose arrivera finalement. Ils la sèmeront au retour dans les tribus. C’est pourquoi j’ai l’honneur de vous demander d’intervenir, de prendre la décision indispensable : le retour. Vous êtes le grand « protégeant » et ils ont foi en vous. Je vous en prie, dise la date de leur départ.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de mes sentiments dévoués et respectueux.

Signé : Paul Leyraud

 

- Autre lettre au ministre :

            Hambourg le 28 juin 1931 : le ministre des colonies à Paris

            Monsieur le Ministre ;

Nous avons l’honneur de vous faire connaître les nouvelles de notre désolante situation ici à Hambourg . Nous avons premièrement vous informer la cause de notre venue en France.

Mr Pourroy est chargé d’aller en Calédonie demander des volontaires pour assister à l’Exposition coloniale de PARIS , pour une durée sept mois c’est à dire jusqu’au mois d’août avant l’automne et après nous nous en retournerons. C’est pour cela que nous sommes intéressés et venus comme volontaires à profiter pour voir et visiter la France et d’en apporter au retour à notre pays quelques beaux souvenirs de ce nous aurons vu à l’Exposition.

Mais en arrivant à Paris au mois d’Avril cette société dont monsieur Pourroy est un des membres a changé de paroles et nous a dit que monsieur Guyon , gouverneur de Calédonie , a signé avec lui un contrat de deux ans en France , et ce n’est plus les sept mois qu’il nous a promis en Calédonie. Et maintenant par leur ordre , deux groupes se détachent de celui qui reste a Paris , pour venir jusqu’ici en Allemagne , pays très étranger et très inconnu pour nous.

Monsieur le ministre , nous nous désolons complètement et nous ne voulons plus rester très longtemps ici , notre seul désir c’est de retourner par votre ordre à l’exposition et revoir la chère France , où la vie est plus facile qu’ici, et après l’exposition au mois de septembre nous retournerons à notre petite Calédonie avec quelque beaux souvenirs de la mère patrie et raconter avec joie à notre famille .

Pour nous ce n’est pas intéressant de raconter les beautés et les faits des pays étrangers plus que notre France. Ici à Hambourg , loin de la vue des protégeant français , nous sommes traités violemment comme des esclaves et surveillés partout et toujours , nous sommes toujours retenus et nous interdit de dépasser de pas plus de vingt mètres de notre habitation ; il y a de deux mois que ça dure. La société nous défend de sortir et de rester à la vue du public sans aucun habit civil. Nous mettons simplement un morceau d’étoffe appelée  manou, un tricot et nous marchons pieds nus, nous dansons quatre à cinq fois par jour et la durée de chaque danse est de trente minutes sans aucune journée de repos même les jour pluvieux et dans l’intervalle des heures de danse nous ne perdons pas une minute , nous nous empressons à d’autres travaux manuels : à creuser quatre énormes troncs d’arbre pour faire des pirogues sans compter d’autres petits objets que le directeur ordonne à faire personnellement et tout est mis en vente pour la société et nous n’obtenant aucune part pour les prix. Malgré tout cela elle ne se trouve pas encore satisfaite pour notre dévouement , est de l’obéissance que nous avons toujours à son égard. Monsieur le ministre nous attendons impatiemment votre ordre pour nous rendre la joie et le bonheur de retourner aussitôt et sans retard à Paris pour l’exposition .

Veuillez agréer monsieur le ministre l’assurance de nos salutations respectueuses.

Signé : Groupe canaques de la Calédonie à Hambourg (Allemagne)  

 

- Maintenant, un extrait d'article de Alain Laubreaux, dans le journal "Candide" du 14 mai 1931 :

Les cannibales à Paris : une heure chez les mangeurs d'hommes.

"Vous avez vu comme moi l'affriolante publicité dont les journaux étaient pleins : les Canaques au jardin X…" Puis quelques lignes d'une savante imprécision où revenaient les mots "cannibales" et "mangeurs d'hommes". Une seule chose paraissait oubliée par les organisateurs de ce spectacle sensationnel, attraction coutumière en ces exhibitions : le repas des fauves. Voyez-vous l'effet d'un tel programme : A cinq heures le dîner des cannibales ? On aurait refusé du monde.

Je connais les canaques. J'ai vécu trois ans parmi eux, dans leur pays. Ils n'étaient pas anthropophages à cette époque. Mais il y a douze ans de cela. En douze ans de civilisation, il est possible qu'ils le soient devenus. J'ai voulu m'en assurer. Je suis allé voir les canaques.

Pour arriver à eux, il y a d'abord le tourniquet du Jardin où l'on dépose trois francs. (C'est déjà une image de la Nouvelle, où tant de gens ont été admis à la contemplation forcée des canaques après être passés à un autre tourniquet où ils déposèrent leurs droits civils.) Puis, ayant franchi une bonne distance à travers un paysage si désolé que le désert paraît surtout y être acclimaté, on se trouve devant une haute palissade derrière laquelle sont parqués les terribles sauvages. Ici, deuxième péage : cent sous. Mais pour voir des êtres qui se repaissent de chair humaine, huit francs, ce n'est pas trop au cours actuel du bifteck.

Entrons. Parmi des cases en bois recouvertes de paille, j'aperçois des hommes noirs, la peau à l'air exposée, le ventre ceinturé d'une étoffe colorée qu'on appelle, chez eux, le manou, et qui, de la chute des reins leur descend jusqu'aux pieds. Ils circulent à pas lents, l'air féroce à souhait, échangeant entre eux des propos d'une voix gutturale qui donne la chair de poule. Ils portent à bout de bras d'homicides casse-têtes, et nous glissent des regards qui, à coup sûr, détaillent sous nos vêtements européens le faux filet et la côte première. On n'aimerait guère le rencontrer, la nuit, au coin du bois de Boulogne.  Décidément on a eu raison de les enfermer. Je n'ouvre pas sans frémir la brochure qui nous est vendue à l'entrée et qui - ô dérision - est éditée sous l'aspect élégant des programmes de nos théâtres parisiens. On y voit (jeune première) la photo d'une popinée sur fond de cocotier, nue, et la taille prise dans un tapa végétal, et, plus loin (grand premier rôle) un guerrier farouche, armes à la main, aigrette de barbare aux cheveux, gris-gris de nacre aux poignets, et le visage de barbare à tatouages. Puis sous le titre "Le Cannibalisme", voici ce qui correspond à l'analyse de la pièce :

"Dans la maison du chef, la plus grande hutte du village, une douzaine d'hommes assis forme un cercle. Un foyer et des torches jettent sur eux des lueurs d'incendie, exagérant les ombres. Au milieu, sur de larges feuilles de bananier, s'élève un monceau de chair humaine fumante. Le four est là béant. Il a été creusé dans le sol même de la paillote, garni au fond de pierres brûlantes sur lesquelles des membres détachés à coups de hache ont été soigneusement étalés puis recouverts d'un nouveau lit de pierres chaudes et de débris végétaux assurant l'étanchéité pendant la cuisson. A présent de ce trou, une âcre odeur s'élève. Une joie farouche se peint sur la face bestiale des féroces convives. Le vieux chef à barbe blanche, à la poitrine ridée, aux membres étiques, est le plus horrible à voir. Il s'acharne sur une tête, dévore le nez, les joues. Avec un bois pointu, il fait sauter les yeux ; puis exposant la partie occipitale au feu vif, il fait dégager la cervelle pour mieux s'en délecter ; ainsi le crâne n'est pas brisé. On pourra l'ajouter aux macabres trophées."

- Brrr. Ne restons pas là, me dit l'impressionnable compagne qui lit en même temps que moi.

A ce moment, un des hommes tragiques passe auprès de nous et instinctivement, nous nous reculons, car il a un aspect encore plus sanguinaire encore que les autres. Nos regards se croisent, et tout à coup :

- Hé, lui dis-je, tu ne t'appelles pas Prosper ?

Il s'arrête, me considère longuement.

- Oui, fait-il.

- Tu ne me reconnais pas?

Il secoue la tête. Je me nomme. Alors, il pousse un cri à fendre l'air.

- C'est toi Alla, s'écrie-t-il.

Et voilà qu'il me saisit les mains et les serre avec effusion.

Ah ! me dit-il, tu n'as pas maigri.

Il faut dire que je pesais cinquante huit kilos quand nous nous sommes connus, Prosper et moi, et j'arrête aujourd'hui l'aiguille de la bascule au respectable chiffre 97.

Mais je dois vous présenter mon "mangeur d'hommes".

Prosper était, au cours des années 1919 et 1920, employé à l'imprimerie de Nouméa, où il remplissait, par rapport à ses confrères de couleur, des fonctions nobles puisqu'on lui confiait la responsabilité d'une Minerve. C'est que Prosper, dans son enfance, avait étudié pour être savant et gagner sa vie au chef-lieu.

De la petite tribu de ses parents à Maré, chaque jour, il se rendait à l'Ecole de la Mission où on lui enseignait le catéchisme, la géographie, l'histoire, la lecture et l'écriture. Comme les enfants de France, il savait, dès cette époque que son pays s'appelait la Gaule et ses ancêtres les gaulois, que sa patrie est arrosée par quatre grands fleuves, la Seine, la Loire, le Rhône et la Garonne, et que Notre Seigneur Jésus-Christ, dans les temps jadis, mourut sur la croix pour racheter sa race et ses péchés.

Et je le retrouve cannibale douze ans plus tard, à Paris. Comme je lui exprime ma stupéfaction, il se met à rire silencieusement d'un air roublard.  Puis :

- Il fallait bien, me dit-il, pour venir à Paris.

- Mais pourquoi, Prosper, as-tu voulu venir à Paris ?

Cette fois encore, une franche gaîté illumine les yeux du canaque. Il entrouvre la bouche, passe une langue gourmande sur ses lèvres épaisses :

- Tiens ! pardi ! pour voir les petites parisiennes !

A ces mots, les Canaques qui se sont approchés depuis un moment assistent, curieux, à notre entretien partent tous d'un éclat de rire immense . Prosper fait les présentations. Ecoutez, je n'invente rien. On peut encore s'en assurer au pavillon de la Nouvelle Calédonie à l'exposition. Ces fauves bestiaux s'appellent Elisée, Jean, Maurice, Germain et même Marius. L'un était à Nouméa cocher aux magasins Ballende, l'autre employé à la douane, celui-ci maître d'hôtel, celui-là timonier à bord d'un cargo côtier. Il y en a un qui était dans la police, un autre bedeau. Le plus beau de l'affaire est que le Barnum de cette extravagante tournée s'appelle l'Administration française. Car si les Canaques ont conscience qu'ils participent à une mascarade, il ne faut pas oublier qu'elle a été organisée officiellement sous le haut contrôle du ministère des colonies, dans un temps où nos Maîtres n'ont à la bouche que les mots de progrès, d'émancipation sociale et de dignité humaine."

 

- Une fiction proposée dans le même site : Les Canala à l'exposition coloniale

Wathio Kaké à son grand-père.

Esprit de mon grand-père, moi, Wathio Kaké, ton petit-fils, à qui tu as transmis les savoir-faire et les lois, je vais te raconter ce que j'ai ressenti quand je suis parti en France avec mes sujets pour représenter la Nouvelle-Calédonie, notre terre aimée, devant les Blancs.

Avant de partir, j'étais content, mais en même temps, j'avais peur parce que j'avais la vie de plusieurs personnes : des enfants, des femmes enceintes, entre mes mains. Juste avant de monter dans les camions à La Foa, pour partir sur Nouméa, j'ai regardé ma délégation derrière moi, j'étais très content, souriant, très pressé de partir en France, et cela m'a soulagé de ma peur.

Arrivés en France dans le port de Marseille, nous sommes remontés en train à Paris.

Là , Ils nous ont mis dans un zoo et ils nous ont dit de construire des pirogues, de jouer le rôle de mangeur d'hommes. Ils nous ont appelés "Cannibales" et traités comme des chiens. Grand-père à ce moment-là, j'ai eu pitié de nos sujets, maltraités, mal payés, mal nourris, mal habillés, mal regardés…

Les visiteurs se moquaient d'eux et avaient pitié.  Cette pitié , dans les yeux des gens, me faisait mal, faisait couler des larmes sur mon visage.

J'aurais voulu rentrer à Canala avec ma délégation pour retrouver ma famille, mes terres, notre liberté de vivre en paix.

Quand nous sommes arrivés, nous n'avons rien dit parce que nous ne voulions pas qu'ils aient pitié de nous, nous ne voulions pas que nos enfants nous vengent.

Voilà tout ce qu'on a vécu en France et comment ils nous ont mal traités. Ca m'a soulagé, Grand-père de te raconter tout cela. Je crois que je vais rentrer à la maison parce que la nuit tombe. A demain.

 

- Une autre fiction trouvée dans le même site "Les Canala à l'exposition coloniale"

Mon journal intime

            *5 janvier 1932

Moi, Aurélia, 22 ans, originaire de Canala, je suis sur le quai de Nouméa. Je suis avec des blancs et des Kanak, on attend les retour des Canala partis pour l'exposition coloniale.

Lors de leur départ, tous ces gens étaient tristes mais ils se consolaient en pensant que leur absence ne durerait que huit mois, ainsi qu'il leur fut formellement promis par le recruteur en présence de M. Harelle. Mais cela fait déjà plus de un an qu'ils sont en France. On attend avec impatience leur retour, j'espère qu'ils ont fait un bon séjour et qu'ils ont plein de beaux souvenirs de l'exposition.

            *6 janvier 1932

J'espère que leur arrivée se fera aujourd'hui même sur le quai. J'étais avec une femme de Lifou, elle attendait le retour de son mari qui participait à cette exposition. Elle est catholique et priait pour eux, même quand on était sur le quai. vers 13 heures 30, on a aperçu au loin un énorme bateau qui se dirigeait vers nous. On pensait très fort que c'était eux. Quelques minutes après, on a vu le nom du bateau "ville de Verdun", la femme de Lifou disait que c'était ce bateau qu'ils avaient pris lors de leur départ pour La France. Nous étions très heureuses parce que ça fait "Ouh, là là !!" si longtemps qu'on les attend. Les hommes ont lâché l'ancre du bateau.

Mais moi, je ne faisais qu'observer leur attitude et leur comportement lorsqu'ils descendraient à terre. Je regardais la femme de Lifou, elle cherchais son mari partout et d'un seul coup elle s'est arrêtée et a dit :" Oh, mon Dieu, mon mari, mon mari, c'est toi ? , ce que tu as changé !"

Son mari était vêtu avec de beaux vêtements, des chaussures et un sac. Quand elle m'a vu en train de la regarder, elle s'est dirigée vers moi. Elle m'a présenté son époux. Elle lui a demandé comment s'était passée l'exposition et le voyage. Il a répondu en disant qu'il avait adoré, que c'était formidable, qu'il avait fait la connaissance d'un copain qui l'avait beaucoup aidé. Pendant qu'il racontait, ses yeux étaient éteints, même s'il faisait celui qui était joyeux.

Sa femme m'a dit : " Bon, ben, on va rentrer. A bientôt ! J'espère que l'on se reverra un jour"

Moi je cherchais toujours ma sœur, mais je ne l'apercevais pas car il y avait beaucoup de gens. Dix minutes plus tard, il ne restait que quelques personnes, je me suis inquiétée et je l'ai enfin vue.

Je l'ai embrassée très fort, en pleurant de joie, elle m'a dit : "On va rentrer chez nous à Canala".

 

            *11 janvier 1932

Nous sommes arrivées chez nous. Pendant les cinq jours du voyage, elle m'a raconté son voyage qui a été épouvantable, horrible. Elle m'a dit qu'ils furent traités comme des cannibales, ils dansaient toute la journée, même quand il pleuvait. Là-bas, il faisait très froid et ils n'étaient vêtus que d'un morceau d'étoffe. On les forçait à faire des pirogues. En France, la plupart des blancs avaient de la peine pour eux, et parfois ils leur donnaient des vêtements. Mais, moi, je ne comprends pas pourquoi l'homme de Lifou avait dit que c'était bien, qu'ils avaient fait un bon séjour.

Pourtant, ma sœur m'a dit que tout le monde avait souffert. Ma sœur a toujours gardé en elle ce terrible souvenir.

Les personnages médiatiques de Canala

* Un enfant de Canala, Éloi Machoro, né dans la tribu de Nakéty située entre les villages de Canala et Thio (Nouvelle-Calédonie) en 1945 et mort le 12 janvier 1985 près de Canala : ce fut un homme politique indépendantiste kanak du FLNKS en Nouvelle-Calédonie (article tiré de Wikipédia)

Biographie  :

5 en regard kanak du FLNKS en Nouvelle-Calédonie droite1974-1983 - Formé au séminaire de Païta, il devient instituteur en 1974. Engagé au sein de l'Union calédonienne qui prend position officiellement pour l'indépendance au congrès de Bourail en 1977 sous la conduite de Jean-Marie Tjibaou, il est élu à l'Assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie sous les couleurs de ce parti cette même année. Il monte bientôt les échelons, devenant en 1981 secrétaire général de l'UC en 1981 suite à l'assassinat de Pierre Declercq à son domicile le 19 septembre 1981. Nationaliste kanak, il souhaitait qu'en Nouvelle-Calédonie "rien ne soit plus comme avant", et incarne alors au sein de ce mouvement la ligne la plus radicale, partisan de l'Indépendance kanak socialiste (IKS) prônée par Jean-Marie Tjibaou, et de sa mise en place par les armes si nécessaires.

1984-1985 - Le 18 novembre 1984, suite à la formation du FLNKS en remplacement du Front indépendantiste et à l'appel au boycott des institutions et des élections par Jean-Marie Tjibaou, il fracasse une urne d'un coup de hache et dénonce ainsi le système électoral qui selon lui avantagerait les anti-indépendantistes. Le 1er décembre 1984, Jean-Marie Tjibaou forme un gouvernement provisoire de la République socialiste de Kanaky, et Éloi Machoro en devient le ministre de la Sécurité. On a dit qu'Eloi Machoro était le chef de guerre des indépendantistes, mais ce jugement est faux. Machoro n'a participé à aucune opération ayant provoqué des blessés ou des morts. Il a pris au piège une opération héliportée de gendarmerie, a escorté les gendarmes au poste de Thio, puis leur a rendu leurs armes.

Il prend le contrôle du village. Les habitants de Thio rapportèrent des humiliations subies pendant le siège : des pressions psychologiques, maltraitance physiques. Elles furent révélées sous l'anonymat des victimes mais restent encore à prouver juridiquement. Beaucoup de personnes craignaient des exactions violentes s’ils se prononçaient contre les indépendantistes. Les immigrants d'origine wallisienne et tahitienne ainsi que les mélanésiens non-indépendantistes étaient particulièrement vulnérables. Le seul décès mentionné est celui du boucher de Thio, qui se noya en tentant de s'échapper par la rivière. Après la fin du siège, le 12 décembre 1984, une vague de réfugiés fut évacuée vers Nouméa.

Le 11 janvier 1985, Yves Tual, fils d'un éleveur européen, est tué par des Mélanésiens. Cet évènement déclenche à Nouméa une émeute nocturne. Le lendemain, le 12 janvier, la gendarmerie déclenche une opération pour libérer la maison d'un Européen occupé par des militants indépendantistes emmenés par Éloi Machoro près de Canala. Cette information était fausse et destinée à provoquer l'intervention de la gendarmerie. Machoro était dans une maison appartenant à un Mélanésien et n'y était pas de force. On lui avait fait croire qu'il allait recevoir une communication du haut commissaire. La gendarmerie finira par donner l'assaut après plusieurs sommations. Éloi Machoro et un autre Kanak Marcel Nonnaro sont tués en dehors de la maison, alors que Machoro réclamait un contact avec le haut commissaire. La gendarmerie laisse Machoro agoniser durant de longues heures sans lui porter secours, alors qu'il a été abattu à La Foa à faible distance par deux tireurs du GIGN (notamment par un tir de précision au FR-F1 du capitaine Jean-Pierre Picon), venus de France pour cela et immédiatement exfiltrés. Daniel Cerdan, ancien membre du GIGN, apporte son témoignage sur la "neutralisation" d’Eloi Machoro.

Postérité :  

Pour la population caldoche, plus spécifiquement pour les anti-indépendantistes, il est perçu comme une personnalité controversée, son nom est associé à la violence d'une guerre civile qui sévissait alors sur le Territoire. Les Européens, qu'ils soient Caldoches ou fonctionnaires d'Etat, ne tiennent jamais compte qu'à la suite du massacre de Hienghène, les jeunes Canaques de la région Thio Canala voulaient massacrer la population européenne de Thio, et que c'est Eloi Machoro qui s'y est opposé. On ne lui en a tenu aucun compte. Ce qu'on lui reproche est d'avoir désarmé la population blanche de Thio, famille après famille, surarmée comme partout ailleurs, pour les empêcher de commettre des stupidités qui auraient alors véritablement enflammé le pays.

Article tiré du journal l'Express de cette époque :

La mort d'Eloi Machoro met-elle un terme au plan Pisani? Caldoches et Canaques semblent prêts à tout, sauf à négocier.

Depuis son arrivée à Nouméa, Edgard Pisani se compare volontiers à un funambule au-dessus du vide. Dans cette affaire calédonienne, une petite semaine sans bruits ni fureur juste après la révélation de son plan, le 7 janvier, lui avait presque permis de croire au miracle. 

A Paris, les états-majors politiques paraissaient prêts à le laisser travailler en paix. Sur place, indépendantistes et anti-indépendantistes retenaient leur souffle, comme s'ils avaient été bluffés par le culot de cet envoyé de Paris qui leur promettait à la fois l'indépendance et l'attachement à la France. Soudain, une nuit d'émeute à Nouméa, la mort d'un 5 en regard de A l'appui de cette thèse encore, certaines déclarations de Tjibaou gaucheCaldoche, Yves Tual, puis celles du leader indépendantiste, Eloi Machoro, et de son lieutenant... Et voilà le plan Pisani apparemment compromis. Voilà que, de nouveau, en Nouvelle-Calédonie, on se rapproche de l'irréparable. 

D'Eloi Machoro, le haut-commissaire du gouvernement avait demandé un jour une photo : "Je ne l'ai jamais vu, j'aimerais bien savoir à quoi il ressemble." Contrairement à Jean-Marie Tjibaou, l'autre dirigeant indépendantiste, très politique et diplomate, Eloi Machoro était un homme de terrain, un chef de guerre. Cet ancien instituteur de Canala avait pris la succession de Pierre Declercq à la tête de l'Union calédonienne lorsque ce dernier avait été assassiné, en 1981. C'est au nom de l'U.C. que, en mai 1984, Machoro s'était rendu à Paris au moment où l'Assemblée nationale débattait le projet de statut de                      Tombe de Eloi Machoro à Canala

Mais, à la fin de mai 1984, la Nouvelle-Calédonie ne faisait pas encore la Une des journaux. Ce Machoro, on le verra quelques mois plus tard détruire à la hache une urne électorale et décréter l'occupation de Thio. Ce Machoro, on le rencontrait le plus souvent torse nu, coiffé d'une casquette de broussard et répétant que, pour rétablir la souveraineté du peuple canaque, seule l'action sur le terrain était réellement efficace. C'est donc avec une extrême réserve que Machoro avait accepté de lever les barrages au moment où des discussions s'engageaient entre Pisani et les indépendantistes. Il avait pris soin de conserver des positions solides à Thio, malgré toutes les pressions exercées par le haut-commissaire pour obtenir son départ. Pendant des semaines, on l'avait même vu se livrer avec ses hommes à une activité passablement inquiétante. Utilisant un matériel de terrassement subtilisé à la Société Le Nickel, il avait entrepris de tracer plusieurs pistes à travers la montagne. La première devait aboutir à Boulouparis, et fut abandonnée uniquement en raison des difficultés techniques rencontrées sur le terrain. La deuxième suivait la rivière Ouenghi, au nord de l'aéroport de la Tontouta. La troisième partait de Kanala pour aboutir à la ferme dite de La Bachellerie. Dans l'esprit de Machoro, il s'agissait de permettre aux Canaques de passer, le jour venu, d'un versant de l'île à l'autre et de recommencer, si besoin, à La Foa ou à Boulouparis, l'opération qui avait été menée à Thio. Or cela, Pisani ne pouvait évidemment pas le tolérer. 

Toujours dans l'Express, un article de Michel Labro publié le 18/01/1985 :

la mort d'Eloi Machoro ; l'engrenage ?

Le 11 janvier, Machoro est repéré à 17 kilomètres de La Foa, à La Bachellerie, précisément. Pour Pisani, c'est l'occasion d'intervenir. Plusieurs centaines de gendarmes, bientôt renforcés par des éléments du G.I.G.N., vont enfermer Machoro dans une nasse. Aux gendarmes qui le somment de se rendre, il lance: "Ne franchissez pas la barrière ou nous vous tirons dessus." Jusqu'au matin, le leader indépendantiste se déplacera, fusil en bandoulière, à l'extérieur de la maison, comme s'il était sûr de l'immunité. "La mort, je n'y croirai que lorsque j'aurai vraiment une balle dans la peau", avait-il dit un jour. Cette fois, il ne sait pas qu'à 150 mètres de lui un des tireurs du G.I.G.N. l'a déjà ajusté dans le viseur de son fusil à lunette. Les gendarmes cherchent-ils seulement à le blesser - à le "neutraliser" - comme ils en ont reçu l'ordre ? Les humiliations qu'ils ont subies face à Machoro au cours des dernières semaines leur reviennent-elles alors à l'esprit ? Toujours est-il que, lorsque les coups partent, Machoro et l'un de ses compagnons, Marcel Nonnaro, s'écroulent, frappés à mort.

Sa disparition sonne-t-elle le glas du plan Pisani (plan dont je reparlerai plus tard longuement lorsque j'aborderai la Nouvelle Calédonie à travers son évolution politique) ? A l'appui de cette thèse, l'impatience, le désir de vengeance de certains militants pour qui l'exécution d'Eloi ressemble fort à celle d'un Che Guevara des antipodes. A l'appui de cette thèse encore, certaines déclarations de Tjibaou, qui n'a pas hésité à affirmer que "le plan Pisani était hypothéqué parce que son auteur avait du sang sur les mains". Certes, les Canaques acceptent de reprendre la discussion avec le gouvernement, ajoutait Tjibaou, mais ils se borneront à réclamer la restitution de leur souveraineté sur le territoire. Le président du "gouvernement provisoire" indépendantiste est pourtant trop fin politique pour ne pas mesurer aujourd'hui le rapport de forces. On est loin en effet du temps où, aux 400 gendarmes territoriaux, aux brigades de brousse, ne s'ajoutaient que trois escadrons de gendarmes mobiles se relayant tous les quatre mois. Après les troubles du mois de novembre, le nombre d'escadrons est passé à 16, puis à 20 ; il est actuellement de 26. Ces gendarmes disposent de 17 engins blindés et des 7 hélicoptères Puma de l'Armée de l'air et de l'aviation légère de l'Armée de terre. Les compagnies de C.R.S., elles, sont au nombre de six. Quant à l'armée, appelée à surveiller les points sensibles, elle a reçu, elle aussi, du renfort. Ici, un bâtiment de transport léger venu de Papeete ; là, deux Transall supplémentaires. Et il y a aussi les paras de Carcassonne - les mêmes que l'on envoya hier au Tchad et au Liban - venus accroître les effectifs du régiment d'infanterie de marine du Pacifique. 

Maisons et magasins incendiés

Même si, au sein du mouvement indépendantiste, certains passent à l'action directe pour venger Machoro, Tjibaou, fidèle à sa stratégie, s'efforcera de mener une politique plus subtile en faisant valoir que ce sont les Européens qui ont tué Machoro, que ce sont eux qui refusent une solution politique. Le pari de Pisani n'était-il pas, en réalité, de gagner un bon tiers de l'électorat blanc à l'idée d'une indépendance chapeautée par la France? Lassés de vivre sur le qui-vive, le doigt sur la détente, certains Caldoches auraient pu se laisser séduire par cette perspective, à condition, bien sûr, d'obtenir des garanties suffisantes de la part des Canaques. 

L'assassinat, le 11 janvier, du jeune broussard de 17 ans et demi Yves Tual, les émeutes de Nouméa qui ont suivi rendent aujourd'hui encore plus aléatoire une évolution des esprits. 

Il fallait que la mort de ce Caldoche fût ressentie comme un défi presque insupportable pour qu'une partie de Nouméa descendît ainsi dans la rue. Nouméa, d'ordinaire si tranquille, si souvent replié sur son confort occidental; Nouméa, où les dimanches sont aussi mornes que ceux d'une petite ville métropolitaine, le soleil et les cocotiers en plus. Pendant plus d'une journée, on verra de jeunes Caldoches, foulard sur le nez, conspuer le gouvernement français en brandissant le drapeau tricolore; on verra des hommes crever les pneus d'une voiture de pompiers et précipiter un bulldozer, commandes bloquées, sur les grilles du haut-commissariat ; on verra, enfin, d'autres hommes incendier les maisons ou les établissements appartenant à des personnalités suspectées de financer les indépendantistes. Edgard Pisani répondra en décrétant l'état d'urgence, en s'efforçant de placer devant leurs responsabilités les membres du R.P.C.R. (Rassemblement pour la Calédonie dans la République) au gouvernement territorial ou à la municipalité de Nouméa. Tout en appelant les habitants à rentrer chez eux, le vieux maire de là ville, Roger Laroque, remerciera les manifestants descendus dans la rue pour y clamer leur volonté de rester français. Il expliquera: " Le projet Pisani est dépassé, la seule question à soumettre à un référendum est: "Voulez-vous, ou non, que la Calédonie reste française? " Bref, après la mort d'Eloi Machoro et les émeutes de Nouméa, Pisani risque de se trouver dans une impasse: il lui faut, en effet, discuter avec des hommes qui sont prêts à discuter de tout, sauf de son projet. 

* Un autre enfant de Canala : Christian Karembeu (sources : voyagecaro.canalblog.com et Wikipédia)

6 en regard de jambe au niveau du genou pour porter le pied droiteChristian Karembeu (dit Le cheval fou par ses coéquipiers de l'équipe de France en 1998) est un footballeur français né le 3 décembre 1970 à Lifou en Nouvelle-Calédonie ( France).

Il occupe le poste de défenseur ou de milieu de terrain défensif selon les configurations d'équipe. Il annonce sa retraite de joueur  le 13 octobre 2005.

D'une famille kanak cinquième enfant d'une fratrie de dix huit enfants, le berceau de la famille de son père est Canala tandis que celui de sa mère est l'île de Lifou, sur laquelle il est né, marié avec le mannequin slovaque Adriana Sklenaříková, son rêve était de marquer un but par une aile de pigeon (c'est-à-dire plier la jambe au niveau du genou pour porter le pied sur le côté dans le but de frapper le ballon). À défaut d'avoir réalisé ce rêve, il joue pour le Real Madrid de 1997 à 2000 tout en contribuant à la victoire de l'équipe de France de football lors de la Coupe du monde 1998, en France, et au championnat d'Europe des Nations 2000, deux épreuves majeures du football mondial.

Malgré ses nombreuses sélections en Équipe de France, il a toujours refusé de chanter La Marseillaise, en référence au passé colonial de la France dans son pays, la Nouvelle-Calédonie.  Son arrière-grand-père paternel faisait notamment partie des kanaks exhibés au Jardin d'acclimatation lors de l'Exposition coloniale de 1931.

Il finit sa carrière professionnelle au SC Bastia.

L'Olympiakos a déboursé 5,2 millions d'Euros pour l'acquérir en 2001.

En octobre 2006, il devient consultant pour le commentaire des matchs diffusés par France Télévisions.

 

Voici donc un aperçu du site de mon deuxième espace de travail où je vais travailler durant six mois, beaucoup plus équipé que celui de Kouaoua, avec une fréquentation qui est au moins cinq fois plus importante, mais où la population est beaucoup plus engagée, voire réticente en matière de contact avec les blancs, que ce soit les Caldoches, bien sûr, mais aussi les "Zoreilles" (les expatriés de la métropole ou d'autres pays) tels que les soignants du dispensaire. C'est vrai qu'ils témoignent pour ce qui est des adultes et des coutumiers une certaine reconnaissance pour le fait que nous leur prodiguons gracieusement les soins, mais les jeunes ne semblent que peu sensibles à ce fait : la preuve en est le vol et l'incendie de notre véhicule tous terrains. Je perçois bien que pour bien vivre à Canala, il faudra affuter finement l'outil "diplomatie"...

P.S. : Pour qui souhaite mieux connaître ce pays par l'image, il faut découvrir sur le site "You Tube" le film réalisé par Gille Dagneau à partir des images en format huit millimètres récoltées par un gendarme en mission, le gendarme Citron (Robert Citron) à l'adresse http://www.youtube.com/watch?v=Tw6v6QLEC2E . Ce représentant de l'ordre se passionna pour la civilisation mélanésienne et il en filma à l'aide d'une petite caméra non sonore des particularismes lors d'une première mission de cinq ans à l'Île des Pins, puis d'une autre de quatre ans à Canala où il exerça la fonction de commandant de la brigade. Son travail reste une référence pour les historiens, les ethnologues, voire la population kanak elle-même qui y découvre parfois des traditions aujourd'hui oubliées. Robert Citron a ainsi fixé des images en général inaccessibles aux blancs, comme le travail dans le champ sacré réservé à la culture de l'igname par exemple.

14 mai 2012

Depuis Kouaoua (Nouvelle Calédonie) le 8 mai 2012

           Ce petit mot pour tenter de décrire la " Grande Terre ", l’île principale de la Mélanésie, telle qu’elle m’est apparue aux premiers jours.

           Pour avoir à réaliser durant les quatre premiers jours toutes les démarches administratives requises par mon installation en tant que praticien sur le " caillou " (formalités auprès de mon employeur qui est la Direction Régionale de l’Action Sanitaire et Sociale de la Région Nord de la Nouvelle Calédonie, ouverture d’un compte bancaire, enregistrement de mon diplôme de médecin à l’Action Sanitaire et Sociale nationale, location de voiture personnelle), donc en sillonnant les rues de Nouméa puis du chef lieu de la Région Nord qui est à Koné (plus de 200 kms de Nouméa), j’ai pu découvrir sur sa longueur puis sur une de ses largeurs la " Grande Terre ", l’île principale de l’archipel. Je dois admettre que les paysages m’ont paru sublimes.

       Ainsi, la route du nord sur la côte ouest qui longe le pays sur sa longueur a pour nom "la Provinciale", reliant la Province Sud à la Province Nord. Elle s'étire au travers des grands espaces consacrés à l’élevage de bovins (Races charolaise et limousine) avec des immenses troupeaux de bêtes bien grasses, d’autant qu’il y a eu de la pluie cette année au début de la saison actuelle qui est l’hiver austral, sur cette côte habituellement sèche. Le relief est fait de collines herbeuses, avec de ci-de là des arbres peu connus, souvent endémiques au pays, tels que les niaoulis, de multiples araucarias dont le pin colonnaire (qui est l’emblème végétal de Nouvelle Calédonie, présent en grand nombre sur l’île des Pins), des chambeyronia, des palétuviers, des bananiers, des énormes bambous constituant des bouquets à la cime dense et verte surmontée par des pics d'allure métallisée, etc. Et tous ces arbres sont si différents les uns des autres qu’il semble qu’ils aient été dessinés dans le tableau par un peintre fou !

      Puis donc il m’a fallu prendre donc une transversale à partir de la ville de La Foa, à peu près à mi chemin entre Nouméa et Koné, pour rejoindre mon affectation en brousse, en plein territoire Kanak, sur la côte est, soit les villages de Kouaoua (où est ma maison principale), et Canala. Prendre une transversale est époustouflant. Certes il s’agit de routes difficiles, souvent à une seule voie, avec des successions de virages à cent quatre vingt degrés, mais quelle beauté et quelle diversité de paysages : une terre parfois rouge carmin, de la latérite, ou parfois ocre, des massifs de roches gris-anthracite veinées quelquefois de marbre blanc, le gris signant la présence du nickel, des prairies molles d’un vert tendre avec des rochers basaltiques noirs bien lissés, et régulièrement des cascades de plusieurs dizaines de mètres de haut, vertigineuses, le long des roches grises qui sont ainsi transformées, grâce au nickel, en des sortes de miroirs à milliers de facettes. La végétation est là encore diversifiée à l’infini. Le climat dans la chaîne étant très humide, cette zone est le plus souvent couverte de nuages. C’est ce qui engendre la présence de massifs forestiers toujours verts. Les arbres ne dépassent guère dix mètres, les nombreuses espèces qui constituent la forêt sont très différentes les unes des autres. On y trouve notamment des arbres (Houp, Kaori, Tamanou, Banians…), des fougères arborescentes de deux à six mètres de hauteur, des épiphytes (lianes, fougères, orchidées), des cocos, et de multiples autres palmiers dont encore des Chambeyronia. À une altitude supérieure à huit cent mètres, les troncs des arbres sont recouverts par de la mousse. Et partout des torrents, des cascades donc, des petits étangs : tout cela est invraisemblablement beau !

            La maison qui m’est attribuée à Kouaoua, petit village minier du bord de mer de quelque trois cent habitants en tenant compte des tribus vivant dans la forêt, est une maison de plein pied, fort plaisante, avec un beau jardin de trois cent mètres carrés où l’on trouve un pamplemoussier couvert de fruits énormes, murs à point, remplis de jus, mais aussi des oiseaux de paradis, un pied de citrouille qui croit à vue d’œil chaque jour sous la chaleur humide tropicale, et les plants que j’y ai ajoutés le lendemain de mon arrivée : un coco, un manguier, deux pieds de vanille offerts lors d'une visite dans les tribus, plants que je surveille et protège amoureusement. Le village donc est tout petit, avec une poste ouverte le matin, une épicerie où l’on trouve quelques pommes de terre et quelques conserves périmées pour la plupart, le dispensaire où je travaille, une petite mairie, une gendarmerie avec trois gendarmes blancs, et quelques dizaines da maisonnettes, la plupart des habitant vivant en fait en tribus dans la forêt. L’école possède dix classes. Au dispensaire sont présents un médecin, un infirmier, un kiné deux fois par semaine, un dentiste deux fois par mois, une sage femme deux fois par semaine, une auxiliaire de vie ("chef d’œuvre" de spontanéité), une secrétaire, et un agent d’entretien assurant aussi la fonction d’ambulancier. Les patients, quasiment tous kanaks, sont accueillis matin et après midi par l’infirmier, qui les convie à me rencontrer si nécessaire. Nous leurs avançons les médicaments car les premières officines sont à Canala ou àLa Foa, à quatre vingt kilomètres par la transversale (une heure et demie de route pour aller, autant pour revenir). Le dispensaire assure aussi la garde toutes les nuits, tous les dimanches et jours fériés, et est un avant poste de réanimation pour le SAMU de Nouméa en accueillant toute l’année vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept les urgences médicales ou chirurgicales, la prise en charge des blessés de la route ou de la mine, et bien sûr les soins généraux en consultations ou en visites dans les tribus, ainsi que la prévention (visites scolaires). Aussi, le matériel y est complet, imposant lorsque l'on vient de missions au sein des Organisations Non Gouvernementales au sein desquelles j'ai oeuvré les trois dernières années.                              

            Une consultation ménage des moments fort étonnants : ainsi hier sept mai j’ai été amené à assurer le suivi scolaire d’une classe de cours préparatoire : une vingtaine de loupiotes et loupiots édentés comme c’est l’usage à six ans, et rieurs on ne peut plus. Lorsque je suis entré dans la salle d’attente, j’ai entendu un joyeux " bonjour docteur " quasiment d’une seule voix, tous ces enfants se mettant spontanément debout. Lors de la visite, certains gamins ont reçu deux vaccins différents sans émettre quelque pleur ou doléance, toujours avec un grand sourire malgré la méfiance. J’ai été frappé d’ailleurs par le sérieux de leurs suivis respectifs : les obligations vaccinales sont tenues à jour d’office par le centre, les carnets de santé soigneusement remplis, bref une médecine préventive comme nous la pratiquions encore en métropole il y a quelques années. Et puis la vie en tribus, le communautarisme assurent la bonne efficacité de la démarche ; c’est ainsi que l’auxiliaire de vie est appelée " tata " par tous les enfants dont elle sait tout des ascendants ; elle est en mesure de souhaiter que la maman surveille plus attentivement le brossage des dents, le nettoyage des conduits auditifs et qu’elle entend bien la rencontrer pour le lui faire savoir. Puis au terme je suis allé dire au revoir à ces bout’ choux en salle d’attente et là, surprise, la maîtresse leur a fait chanter à tue tête un chant kanak pour me remercier ; cette ambiance n’était pas sans évoquer mes souvenirs d’enfant lors des années cinquante cinq en Algérie. Tout cela surtout laisse apparaître une évidente joie de vivre immensément rassurante, qui colle avec le fait que tout le monde ici salue tout le monde le long des routes, dans le magasin, à la poste ; ne pas serrer une main inconnue serait manifestement totalement coupable.

            Pour la fin de la journée, une autre expérience étonnante : il est d’usage de terminer le jour dans une " nakamal ". C’est un endroit en général totalement isolé, en l’occurrence à Kouaoua en bord du golfe, qu’on atteint après dix minutes de piste difficile même pour un quatre-quatre, et où l’on se rend pour y boire une coupe de kava dans une demi-coco ; l’ " établissement ", une sorte de cabane, ne vend que cela. Le Kava est fabriqué en hachant finement de la racine de poivrier " mystique " (que l’on fait venir du Vanuatu voisin - anciennement Nouvelles-Hébrides), puis en faisant macérer ce hachis dans de l’eau quelques heures, et enfin en filtrant plusieurs fois le liquide obtenu pour en enlever toutes particules. Il est d’usage de boire la coupe " cul-sec ", les pieds au bord de l’eau, en regardant le coucher de soleil sur la baie et en faisant un vœu. La boisson est un peu âcre, un peu piquante, totalement sans alcool, et le premier effet est d’anesthésier un peu la langue et les parois de la bouche ; puis l’on s’assoit devant un feu de bois en écoutant une musique douce diffusée dans la nakamal éclairée faiblement de lampes rouges, on regarde la mer, et on laisse ainsi le temps au temps… Les habitués boivent parfois quatre ou cinq coupes dans la soirée ; je n’en ai bu que deux en une heure pour ma part et je reconnais qu’il y a bien longtemps que je n’avais ressenti une telle sérénité…

            Voilà un premier aperçu de ce que sera la vie ici durant les six mois à venir ; toutefois, toutes les deux semaines, je travaillerai au dispensaire de Canala, beaucoup plus gros, le village lui-même étant nettement plus important (on y trouve même un centre culturel, et deux épiceries !). Là je bénéficie du logement de passage. Je raconterai ultérieurement plus longuement Canala puisque c’est un village particulier,  où a commencé la révolte indépendantiste des kanaks qui a conduit au drame de la grotte d’Ouvéa en mille neuf cent quatre vingt huit.

Images article 2

 

 

 

1 mai 2012

Après deux missions en Haïti, la Nouvelle Calédonie semble un havre de paix...

Arbre_du_voyageur                                      

 Nouméa le premier mai 2012

    C'est donc en Nouvelle Calédonie que je vais exercer ce nouveau métier que j'ai choisi il y a trois ans maintenant, celui d'offrir mon expérience de médecin acquise depuis le début de mes études médicales en 1964 à des populations en grandes difficultés.

    J'y suis arrivé hier pour y exercer une mission d'au minimum six mois, en tant que médecin de brousse, c'est à dire en plein territoire Kanak. C'est sur la côte est que je pratiquerai, dans les dispensaires des villages de Canala et Kouaoua. Il s'agit de la région "mouillée" du "caillou" (c'est le nom que l'on donne ici à ce pays), soit la région de la forêt.

    Je tâcherai durant cette période de prendre le temps de tenir ce blog pour tenter de décrire ce splendide pays, un des plus beaux lagons du monde dit-on, à travers son histoire, sa géographie, sa faune et sa flore, mais surtout faire connaître la population à laquelle je vais consacrer mon temps, celle des kanaks essentiellement. Je ressens très fort qu'il s'agit d'un peuple dont les coutumes ancestrales sont quelque part rassurantes en regard de la dialectique matérialiste qui ronge peu à peu l'âme de notre vieux continent.

    Au premier regard, quand l'avion survole le pays afin de s'y poser, le vert de l'herbe parait bien plus vert que l'herbe verte, le bleu du ciel parait bien plus bleu que le ciel bleu, la couleur de la mer varie du blanc au bleu le plus profond avec toutes les nuances intermédiaires selon la présence des coraux, la profondeur de l'eau. Cela, associé à la couleur ocre ou pourpre de la terre, participe à réaliser un spectacle féérique dont on perçoit bien d'emblée qu'on ne pourra que l'aimer. Si Haïti m'a évoqué ce que pourrait être l'enfer, la Nouvelle Calédonie pourrait bien ressembler au Nirvana !!!

    Le voyage est long, c'est vrai : à peu près vingt heures de vol de Paris à Nouméa. L'instant le plus éprouvant fut cette escale à Tokyo le vingt huit avril, durant laquelle vers vingt heures un séisme de quelques secondes m'a créé un profond mal-être aux décours de huit mois de vie en Haïti et du drame que ce pays a vécu et pour lequel il a fallu déjà et il faudra longtemps encore exercer tant d'efforts pour en estomper les conséquences... D'un seul coup, le sol du hall des départs de l'aéroport de Tokyo Narita, au deuxième étage, s'est mis à onduler lentement durant quelques secondes. Les touristes dans un premier temps regardaient autour d'eux, perplexes, comprenant la cause après un certain temps, chacune et chacun se rappelant sans doute qu'il y avait aux moins deux étages de vide sous nos pieds. Nous nous sommes à peu près tous levés, nous demandant bien quelle devra être la bonne attitude. Le personnel, lui, est resté étonnamment stoïque, manifestant là une évidente habitude du phénomène. Puis ce roulis s'est arrêté et l'activité normale a repris progressivement. Mais cette impression d'être en mer sur le pont d'un navire par temps de houle a perduré pour ma part plusieurs minutes.

   En fait, cette secousse était une petite réplique d'un tremblement plus violent qui s'est déroulé en début d'après-midi ; voici ce qu'en dit le journal suisse "24 Heures" :

" Un puissant séisme, de magnitude 7, s’est produit dimanche en début d’après-midi à Tokyo et dans sa région. Mais il a eu lieu à une grande profondeur et aucune alerte au tsunami n’a été émise, a indiqué l’Agence météorologique japonaise. La secousse a eu lieu à 14H28, a précisé l’Agence. L’épicentre était près de Torishima, une île à environ 560 km au sud de la capitale japonaise. La profondeur était de 370 km. Le séisme a fait vaciller les immeubles de Tokyo, dont la plupart sont construits selon des normes antisismiques très strictes. En revanche, il n’a pas interrompu la finale du tournoi de football de la Coupe de l’empereur, dans le stade national de la capitale. Il n’y a pas eu de victimes, selon les premières informations. Les trains et les avions au départ ou à l’arrivée de la capitale n’ont pas été affectés par la secousse ".

   Mon travail débutera demain mercredi deux mai, par l'entretien préalable avec les autorités de la Direction Régionale de l'Action Sanitaire et Sociale de la Province Nord, mes employeurs officiels, dont les bureaux se trouvent à Koné (une ville sur la côte ouest à quelque deux cent kilomètres de Nouméa), puis ce sera la découverte des deux sites de Canala et Kouaoua, qui sont eux situés sur la côte est. L'aventure commencera alors pour de bon....

 

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