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Médecin de brousse en Kanaky
14 mai 2012

Depuis Kouaoua (Nouvelle Calédonie) le 8 mai 2012

           Ce petit mot pour tenter de décrire la " Grande Terre ", l’île principale de la Mélanésie, telle qu’elle m’est apparue aux premiers jours.

           Pour avoir à réaliser durant les quatre premiers jours toutes les démarches administratives requises par mon installation en tant que praticien sur le " caillou " (formalités auprès de mon employeur qui est la Direction Régionale de l’Action Sanitaire et Sociale de la Région Nord de la Nouvelle Calédonie, ouverture d’un compte bancaire, enregistrement de mon diplôme de médecin à l’Action Sanitaire et Sociale nationale, location de voiture personnelle), donc en sillonnant les rues de Nouméa puis du chef lieu de la Région Nord qui est à Koné (plus de 200 kms de Nouméa), j’ai pu découvrir sur sa longueur puis sur une de ses largeurs la " Grande Terre ", l’île principale de l’archipel. Je dois admettre que les paysages m’ont paru sublimes.

       Ainsi, la route du nord sur la côte ouest qui longe le pays sur sa longueur a pour nom "la Provinciale", reliant la Province Sud à la Province Nord. Elle s'étire au travers des grands espaces consacrés à l’élevage de bovins (Races charolaise et limousine) avec des immenses troupeaux de bêtes bien grasses, d’autant qu’il y a eu de la pluie cette année au début de la saison actuelle qui est l’hiver austral, sur cette côte habituellement sèche. Le relief est fait de collines herbeuses, avec de ci-de là des arbres peu connus, souvent endémiques au pays, tels que les niaoulis, de multiples araucarias dont le pin colonnaire (qui est l’emblème végétal de Nouvelle Calédonie, présent en grand nombre sur l’île des Pins), des chambeyronia, des palétuviers, des bananiers, des énormes bambous constituant des bouquets à la cime dense et verte surmontée par des pics d'allure métallisée, etc. Et tous ces arbres sont si différents les uns des autres qu’il semble qu’ils aient été dessinés dans le tableau par un peintre fou !

      Puis donc il m’a fallu prendre donc une transversale à partir de la ville de La Foa, à peu près à mi chemin entre Nouméa et Koné, pour rejoindre mon affectation en brousse, en plein territoire Kanak, sur la côte est, soit les villages de Kouaoua (où est ma maison principale), et Canala. Prendre une transversale est époustouflant. Certes il s’agit de routes difficiles, souvent à une seule voie, avec des successions de virages à cent quatre vingt degrés, mais quelle beauté et quelle diversité de paysages : une terre parfois rouge carmin, de la latérite, ou parfois ocre, des massifs de roches gris-anthracite veinées quelquefois de marbre blanc, le gris signant la présence du nickel, des prairies molles d’un vert tendre avec des rochers basaltiques noirs bien lissés, et régulièrement des cascades de plusieurs dizaines de mètres de haut, vertigineuses, le long des roches grises qui sont ainsi transformées, grâce au nickel, en des sortes de miroirs à milliers de facettes. La végétation est là encore diversifiée à l’infini. Le climat dans la chaîne étant très humide, cette zone est le plus souvent couverte de nuages. C’est ce qui engendre la présence de massifs forestiers toujours verts. Les arbres ne dépassent guère dix mètres, les nombreuses espèces qui constituent la forêt sont très différentes les unes des autres. On y trouve notamment des arbres (Houp, Kaori, Tamanou, Banians…), des fougères arborescentes de deux à six mètres de hauteur, des épiphytes (lianes, fougères, orchidées), des cocos, et de multiples autres palmiers dont encore des Chambeyronia. À une altitude supérieure à huit cent mètres, les troncs des arbres sont recouverts par de la mousse. Et partout des torrents, des cascades donc, des petits étangs : tout cela est invraisemblablement beau !

            La maison qui m’est attribuée à Kouaoua, petit village minier du bord de mer de quelque trois cent habitants en tenant compte des tribus vivant dans la forêt, est une maison de plein pied, fort plaisante, avec un beau jardin de trois cent mètres carrés où l’on trouve un pamplemoussier couvert de fruits énormes, murs à point, remplis de jus, mais aussi des oiseaux de paradis, un pied de citrouille qui croit à vue d’œil chaque jour sous la chaleur humide tropicale, et les plants que j’y ai ajoutés le lendemain de mon arrivée : un coco, un manguier, deux pieds de vanille offerts lors d'une visite dans les tribus, plants que je surveille et protège amoureusement. Le village donc est tout petit, avec une poste ouverte le matin, une épicerie où l’on trouve quelques pommes de terre et quelques conserves périmées pour la plupart, le dispensaire où je travaille, une petite mairie, une gendarmerie avec trois gendarmes blancs, et quelques dizaines da maisonnettes, la plupart des habitant vivant en fait en tribus dans la forêt. L’école possède dix classes. Au dispensaire sont présents un médecin, un infirmier, un kiné deux fois par semaine, un dentiste deux fois par mois, une sage femme deux fois par semaine, une auxiliaire de vie ("chef d’œuvre" de spontanéité), une secrétaire, et un agent d’entretien assurant aussi la fonction d’ambulancier. Les patients, quasiment tous kanaks, sont accueillis matin et après midi par l’infirmier, qui les convie à me rencontrer si nécessaire. Nous leurs avançons les médicaments car les premières officines sont à Canala ou àLa Foa, à quatre vingt kilomètres par la transversale (une heure et demie de route pour aller, autant pour revenir). Le dispensaire assure aussi la garde toutes les nuits, tous les dimanches et jours fériés, et est un avant poste de réanimation pour le SAMU de Nouméa en accueillant toute l’année vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept les urgences médicales ou chirurgicales, la prise en charge des blessés de la route ou de la mine, et bien sûr les soins généraux en consultations ou en visites dans les tribus, ainsi que la prévention (visites scolaires). Aussi, le matériel y est complet, imposant lorsque l'on vient de missions au sein des Organisations Non Gouvernementales au sein desquelles j'ai oeuvré les trois dernières années.                              

            Une consultation ménage des moments fort étonnants : ainsi hier sept mai j’ai été amené à assurer le suivi scolaire d’une classe de cours préparatoire : une vingtaine de loupiotes et loupiots édentés comme c’est l’usage à six ans, et rieurs on ne peut plus. Lorsque je suis entré dans la salle d’attente, j’ai entendu un joyeux " bonjour docteur " quasiment d’une seule voix, tous ces enfants se mettant spontanément debout. Lors de la visite, certains gamins ont reçu deux vaccins différents sans émettre quelque pleur ou doléance, toujours avec un grand sourire malgré la méfiance. J’ai été frappé d’ailleurs par le sérieux de leurs suivis respectifs : les obligations vaccinales sont tenues à jour d’office par le centre, les carnets de santé soigneusement remplis, bref une médecine préventive comme nous la pratiquions encore en métropole il y a quelques années. Et puis la vie en tribus, le communautarisme assurent la bonne efficacité de la démarche ; c’est ainsi que l’auxiliaire de vie est appelée " tata " par tous les enfants dont elle sait tout des ascendants ; elle est en mesure de souhaiter que la maman surveille plus attentivement le brossage des dents, le nettoyage des conduits auditifs et qu’elle entend bien la rencontrer pour le lui faire savoir. Puis au terme je suis allé dire au revoir à ces bout’ choux en salle d’attente et là, surprise, la maîtresse leur a fait chanter à tue tête un chant kanak pour me remercier ; cette ambiance n’était pas sans évoquer mes souvenirs d’enfant lors des années cinquante cinq en Algérie. Tout cela surtout laisse apparaître une évidente joie de vivre immensément rassurante, qui colle avec le fait que tout le monde ici salue tout le monde le long des routes, dans le magasin, à la poste ; ne pas serrer une main inconnue serait manifestement totalement coupable.

            Pour la fin de la journée, une autre expérience étonnante : il est d’usage de terminer le jour dans une " nakamal ". C’est un endroit en général totalement isolé, en l’occurrence à Kouaoua en bord du golfe, qu’on atteint après dix minutes de piste difficile même pour un quatre-quatre, et où l’on se rend pour y boire une coupe de kava dans une demi-coco ; l’ " établissement ", une sorte de cabane, ne vend que cela. Le Kava est fabriqué en hachant finement de la racine de poivrier " mystique " (que l’on fait venir du Vanuatu voisin - anciennement Nouvelles-Hébrides), puis en faisant macérer ce hachis dans de l’eau quelques heures, et enfin en filtrant plusieurs fois le liquide obtenu pour en enlever toutes particules. Il est d’usage de boire la coupe " cul-sec ", les pieds au bord de l’eau, en regardant le coucher de soleil sur la baie et en faisant un vœu. La boisson est un peu âcre, un peu piquante, totalement sans alcool, et le premier effet est d’anesthésier un peu la langue et les parois de la bouche ; puis l’on s’assoit devant un feu de bois en écoutant une musique douce diffusée dans la nakamal éclairée faiblement de lampes rouges, on regarde la mer, et on laisse ainsi le temps au temps… Les habitués boivent parfois quatre ou cinq coupes dans la soirée ; je n’en ai bu que deux en une heure pour ma part et je reconnais qu’il y a bien longtemps que je n’avais ressenti une telle sérénité…

            Voilà un premier aperçu de ce que sera la vie ici durant les six mois à venir ; toutefois, toutes les deux semaines, je travaillerai au dispensaire de Canala, beaucoup plus gros, le village lui-même étant nettement plus important (on y trouve même un centre culturel, et deux épiceries !). Là je bénéficie du logement de passage. Je raconterai ultérieurement plus longuement Canala puisque c’est un village particulier,  où a commencé la révolte indépendantiste des kanaks qui a conduit au drame de la grotte d’Ouvéa en mille neuf cent quatre vingt huit.

Images article 2

 

 

 

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